L'angoisse

Lacan J., le séminaire livre VI, Paris, Seuil, 2004
(Extraits de la version ALI)
Leçon du 28 novembre 1962

« C’est dans la mesure où une identification tout à fait différente que j’ai appelé identification avec Ophélie, c’est dans la mesure où l’âme furieuse d’Ophélie… c’est au moment de la révélation de ce qu’a été pour lui cet objet négligé, méconnu, que nous voyons là jouer dans Shakespeare à nu cette identification à l’objet du deuil … Cette identification à l’objet du deuil… l’entrée en Hamlet de la fureur de l’âme féminine, c’est ce qui lui donne la force de devenir à partir de là, ce somnambule qui accepte tout, jusque et y compris dans le combat d’être celui qui tient l’enjeu, qui tient sa partie pour son ennemi, le roi lui-même, contre son image spéculaire qui est Laërte. » Continuer la lecture de « L'angoisse »

Le désir et son interprétation

Lacan J., le séminaire livre VI
(Extraits de la version ALI)
Leçon du 11 mars 1959

« Et, le prenant littéralement à genoux et à sa merci, sans être vu par le roi, Hamlet a la vengeance à sa portée. C’est là qu’il s’arrête avec cette réflexion: est-­ce qu’en le tuant maintenant il ne va pas l’envoyer au ciel, alors que son père a beaucoup insisté sur le fait qu’il souffrait tous les tourments d’on ne sait pas très bien quel enfer ou quel purgatoire ? Est-ce qu’il ne va pas l’envoyer droit au bonheur éternel ? C’est justement ce qu’il ne faut pas que je fasse… Continuer la lecture de « Le désir et son interprétation »

"Il n'y a d'acte que d'homme", Lacan 05 février 1964

« La répétition apparaît d’abord sous une forme qui n’est pas claire, qui ne va pas de soi, comme une reproduction ou une présentification, en acte. Voilà pourquoi j’ai mis L’acte avec un grand point d’interrogation dans le bas du tableau, afin d’indiquer que cet acte restera, à notre horizon.

Il est assez curieux que ni Freud, ni aucun de ses épigones, n’ait jamais tenté de se remémorer ce qui est pourtant à la portée de tout le monde concernant l’acte – ajoutons humain, si vous voulez, puisque à notre connaissance, il n’y a d’acte que d’homme. Pourquoi un acte n’est-il pas un comportement ? Fixons les yeux, par exemple, sur cet acte qui est, lui, sans ambiguïté, l’acte de s’ouvrir le ventre que dans certaines conditions – ne dites pas hara-kiri, le nom est seppuku. Pourquoi font-ils ça ? Parce qu’ils croient que ça embête les autres, parce que, dans la structure, c’est un acte qui se fait en l’honneur de quelque chose. Attendons. Ne nous pressons pas avant de savoir, et repérons ceci, qu’un acte, un vrai acte, a toujours une part de structure, de concerner un réel qui n’y est pas pris d’évidence.

Wiederholen. Rien n’a plus fait énigme – spécialement à propos de cette bipartition, si structurante de toute la psychologie freudienne, du principe du plaisir et du principe de réalité – rien n’a plus fait énigme que ce Wiederholen, qui est tout près, aux dires des étymologistes les plus mesurés, du haler – comme on fait sur les chemins de hala­ge – tout près du haler du sujet, lequel tire toujours son truc autour d’un certain che­min d’où il ne peut pas sortir ».

Lacan J., Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, coll. Points essais, 1973, séance du 05 février 1964, p. 60

Freud entretient des soupçons sur la question génétique du suicide….

Le suicide est-il génétique ?

Pouvons-nous le recevoir en héritage de nos parents ?

Est-il possible de le transmettre à nos enfants ?

Freud s’est montré assez radical quand à cette hérédité des névroses. Il estime que la névrose peut en effet se « transmettre ». Mais, pas par les gènes !

Par identification !

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Le suicide pour échapper au cercle solitaire, G. Morel

Il est très utile de lire le dernier livre de G. Morel, La loi de la mère, en particulier le chapitre VI sur « Les prolongements du symptôme », dans lequel elle met en évidence un troisième type de « prolongement » du symptôme de Joyce.

Dans ce chapitre, G. Morel examine le rapport de Joyce à sa fille Lucia, et elle évoque une présentation de malade de Lacan. Il s’agit du cas intitulé « Entretien de Jacques Lacan avec Gérard Lumeroy », paru en 1992 dans Le discours psychanalytique. Lacan, avec ce patient, « s’intéresse à la progression pathologique du rapport de ce sujet au message de l’Autre ».

On peut consulter le texte intégral de cette présentation de malade sur Internet sur le site de l’ELP, ainsi qu’aux commentaires de Lacan. Lacan fait un premier commentaire à la fin de la présentation et un deuxième plus compliqué lors de son séminaire Le sinthome.

Et ce patient explique quelque chose d’important à propos de son suicide.

Il considère que la cause de son suicide est due à la perception de son secret par l’Autre, ce qu’il appelle « le cercle solitaire ». Dans un premier temps, le symbolique est noué au réel et les deux se distinguent nettement de l’imaginaire. Puis, l’amorce de la télépathie créée une « embrouille » du réel et du symbolique, ce qui le conduit au suicide.

C’est ce développement du symptôme qui est le plus intéressant car il suppose une progression du symptôme en rapport simultané avec l’apparition du suicide.

Ce patient montre l’existence d’un nouage du réel et du symbolique, l’embrouille du nouage R-S lors de l’apparition de la télépathie, l’éclosion de son suicide, et permet des considérations générales sur le sinthome dans ses rapports au suicide.

En effet, on pourrait dire que dans le cas de Gérard, le suicide est le point d’effondrement ou d’effacement du symptôme, le moment où l’amalgame réel – symbolique faisant pont vers l’imaginaire « s’embrouille » et où la distinction, la « disjonction » de ces trois registres devient impossible.

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atelier « Prévention du suicide », Savoirs et clinique, 19 janvier 2008, résumé de l’intervention tenant compte des précieuses remarques de B. Lemonnier, S. Boudailliez et M. Vaneufville.

– Morel G., La loi de la mère, essai sur le simthome sexuel, Anthropos, 2008

– pages 154 et 155

– Entretien du 10 février 1976. On peut télécharger le texte de l’entretien à partir du site « Pas tout Lacan » à http://www.ecole-lacanienne.net/pastoutlacan70.php

– Morel, p. 155

– Lacan J., Le sinthome, Paris, Seuil, 2005, p. 94-97

Lacan, le suicide et le sinthome ?

Dans son séminaire sur le sinthome, Lacan évoque le cas d’un personne rencontrée en présentation de malade. Ce dernier estimait que ses réflexions les plus intimes étaient connues de tous, ce qui l’affolait et l’avait décidé à se suicider. Car, il n’avait plus de secret, ni de « réserve ». Lacan estime que James Joyce présentait ce style de télépathie. Lacan en voit la preuve dans le fait qu’il suppose cette télépathie à sa fille, « prolongeant » ainsi son sinthome vers une elle.
Voici la citation du passage en question :
Lacan, Le sinthome, Paris, Seuil, 2005, p. 94-97
« Je me suis permis la dernière fois de définir comme sinthome ce qui permet au nœud à trois, non pas de faire encore nœud à trois, mais de se conserver dans une position telle qu’il ait l’air de faire nœud à trois. (…)
Joyce a un symptôme qui part de ceci que son père était carent, Continuer la lecture de « Lacan, le suicide et le sinthome ? »

L'amour est une forme de suicide

Je viens de relire un petit passage du séminaire I de Jacques Lacan. Concis et instructif. Il s’agit d’une discussion entre Lacan et Hyppolite.
En résumé, la dialectique spéculaire (la relation à l’autre), introduit deux choses et d’un même coup : Continuer la lecture de « L'amour est une forme de suicide »

D’un discours qui ne serait pas du semblant

Si je résume le propos de Lacan, le passage à l’acte est l’irruption du réel aux limites du discours. C’est un « accident », du latin accidere, survenir, ce qui advient….

Lacan J., D’un discours qui ne serait pas du semblant (1971), le séminaire livre XVIII, Paris, Seuil, 2007, citation

Ce qui est sexuel « ne s’appelle sexualité que par ce qu’on appelle rapport sexuel », p. 30.

« Il est du destin des êtres parlants de se répartir entre hommes et femmes » (…) « ce qui définit l’homme, c’est son rapport à la femme » (…) « Il s’agit de faire-homme » (…) « l’un des corrélats essentiels est faire signe à la fille qu’on l’est. Pour tout dire, nous nous trouvons d’emblée placés dans la dimension du semblant  » (…) « Le comportement sexuel humain consiste dans un certain maintien de ce semblant animal. La seule chose qui l’en différencie (de l’animal), c’est que ce semblant soit véhiculé dans un discours, et que c’est à ce niveau de discours, à ce niveau de discours seulement, qu’il est porté vers, permettez-moi, quelque effet qui ne serait pas du semblant. Cela veut dire que, au lieu d’avoir l’exquise courtoisie animale, il arrive aux hommes de violer une femme, ou inversement. Aux limites du discours, en tant qu’il s’efforce de faire tenir le même semblant, il y a de temps en temps du réel. C’est ce qu’on appelle le passage à l’acte » (…) « observez que, dans la plupart des cas, le passage à l’acte est soigneusement évité. Ca n’arrive que par accident. C’est aussi une occasion d’éclairer ce qu’il en est de ce que je différencie depuis longtemps du passage à l’acte, à savoir l’acting out. Ca consiste à faire passer le semblant sur la scène, à le monter à la hauteur de la scène, à en faire exemple. Voilà ce qui dans cet ordre s’appelle l’acting out. On appelle encore ça la passion », p. 32-33.

« L’agressivité en psychanalyse », Jacques Lacan

Plus que la « conservation de soi », plus encore que la crainte de la mort infligée par le « Maitre absolu », l’homme craint de léser son corps propre. Dans le même mouvement, il « constitue son monde par son propre suicide ». C’est-à-dire par son entrée dans la chaine signifiante (que Lacan explique plus en détail dans le séminaire : « Les formations de l’inconcscient »).

Lacan J., (rapport théorique présenté en mai 1948 à Bruxelles au XI congrès des psychanalystes de langue française), Ecrits, Paris, Seuil, 1966, p. 123-124, extraits

« Néanmoins nous avons là encore quelques vérités psychologiques à apporter : à savoir combien le prétendu « instinct de conservation » du moi fléchit volontiers dans le vertige de la domination de l’espace, et surtout combien la crainte de la mort, du « Maître absolu », supposé dans la conscience par toute une tradition philosophique depuis Hegel, est psychologiquement subordonnée à la crainte narcissique de la lésion du corps propre.

Nous ne croyons pas vain d’avoir souligné le rapport que soutient avec la dimension de l’espace une tension subjective, qui dans le malaise de la civilisation vient recouper celle de l’angoisse, si humainement abordée par Freud et qui se développe dans la dimension temporelle. Celle-ci aussi nous l’éclairerions volontiers des significations contemporaines de deux philosophies qui répondraient à celles que nous venons d’évoquer : celle de Bergson pour son insuffisance naturaliste et celle de Kierkegaard pour sa signification dialectique.

À la croisée seulement de ces deux tensions, devrait être envisagée cette assomption par l’homme de son déchirement originel, par quoi l’on peut dire qu’à chaque instant il constitue son monde par son suicide, et dont Freud eut l’audace de formuler l’expérience psychologique si paradoxale qu’en soit l’expression en termes biologiques, soit comme « instinct de mort ».

Chez l’homme « affranchi » de la société moderne, voici que ce déchirement révèle jusqu’au fond de l’être sa formidable lézarde. C’est la névrose d’auto-punition, avec les symptômes hystérico-hypochondriaques de ses inhibitions fonctionnelles, avec les formes psychasthéniques de sa déréalisation de l’autrui et du monde, avec ses séquences sociales d’échec et de crime. C’est cette victime émouvante, évadée d’ailleurs irresponsable en rupture du ban qui voue l’homme moderne à la plus formidable galère sociale, que nous recueillons quand elle vient à nous, c’est à cet être de néant que notre tâche quotidienne est d’ouvrir à nouveau la voie de son sens dans une fraternité discrète à la mesure de laquelle nous sommes toujours trop inégaux ».

Les formations de l’inconscient (1957-1958)

Dans ce texte, Lacan évoque quatre formes de suicide. Le suicide dans lequel le sujet devient un « signe éternel », « l’irrésistible pente au suicide des enfants non désirés », la « beauté horrifique » du suicide et sa « beauté contagieuse ». Ces trois formes de suicide sont clairement rapporté à la répétition, « la reproduction symptomatique », et à l’Au-delà du principe de plaisir.

Cet Au-delà du principe de plaisir est l’élément qui rend compte de la montée du plaisir, qui explique le « plaisir effectif ». C’est un refus du sujet, pleinement articulé, au moment où il s’affirme comme signifiant. Le sujet n’accepte pas d’être un élément de la chaîne signifiante. Ce faisant, il « s’abolit » et devient un signe éternel.

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