Lors du suicide, le sens le plus élevé de l’amour se perd déjà !

Dans « le manuscrit N. 1 », rédigé en 1897, Freud évoque le désir de mort de l’enfant à l’égard de ses parents. C’est un texte précoce dont l’intérêt est pourtant grand dans la mesure où y sont exposé des idées dont on retrouvera les traces ultérieurement dans les textes freudiens.

Freud évoque Goethe : « le mécanisme de la création poétique est le même que celui des fantasmes hystériques. Goethe prête à Werther quelque chose de vécu : son propre amour pour Lotte Kästner et, en même temps, quelque chose dont il a entendu parler : le sort du jeune Jérusalem qui se suicida ». Donc, un élément composite qui allie un fait personnel et un fait réel dont Goethe a eu connaissance du côté du jeune Jérusalem.

« Les souffrances du jeune Werther » est un grand classique romantique à connaître pour l’étude du suicide. L’intérêt de la remarque de Freud est de souligner la dimension biographique du texte. Ce suicide étant construit sur une rivalité oedipienne par l’identification de Goethe à Jérusalem. Mais comme il le précise, Freud estime que l’identification « n’est qu’un mode de pensée » et qu’elle ne nous « délie pas de l’obligation » d’en rechercher les motifs.

Pour comprendre tout l’intérêt de cette réflexion, il est utile de survoler rapidement la référence à Goethe. Charles Guillaume Jerusalem, une simple connaissance de Goethe, était tombé amoureux d’une femme mariée et il lui avoua son amour en se jetant à ses pieds. Econduit, il se suicide. Du coup, le récit de Werther laisse supposer que Goethe lui-même aurait aussi pensé à se suicider dans des circonstances similaires.

Ce dernier considère ce suicide sous l’angle de la perte du « premier amour » : le premier amour serait en quelque sorte le dernier. « L’unique, car, dans le second et par le second, le sens le plus élevé de l’amour se perd déjà », dit Freud. Si bien que les amours suivants ne sont que des répétitions du premier. Ils sont inévitablement en défaut par rapport au premier amour déjà perdu. En tant que tels, les amours qui lui succèdent, réactivent la perte initiale et réveillent le sentiment d’une faute qui alimente la tendance suicide. Donc sous l’identification au rival, il y a la perte de l’objet.

Goethe était un fin lacanien !

Sa théorie suppose que la séparation est insupportable car elle réactive la première perte. Cette idée se retrouve ensuite dans les textes ultérieurs de Freud. Par exemple Deuil et mélancolie, dans lequel Freud la développe. Loin de l’écarter, Freud la complète en la détaillant.

Goethe ne s’est pas suicidé en écrivant « Les souffrances du jeune Werther » : « le suicide de Jérusalem lui permit en quelque sorte de cristalliser » son œuvre écrite. C’est l’une des issues possibles à la tendance suicide.

Un conseil utile à formuler à l’entourage du suicidaire en particulier. Écrivez le récit de ce qui vous avez perdu !

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1- Freud S., « Le manuscrit N », La naissance de la psychanalyse, traduction par Anne Berman, Paris, PUF, 2009

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