Dans son chapitre 8 de la Psychopathologie de la vie quotidienne 1, Freud étudie les actes maladroits. Il a commencé par distinguer les actes par méprise, des actes symptomatiques. En précisant les actes par méprise, il en est venu à souligner leur « déterminisme symbolique ». L’acte manqué représente un objet. Il traduit une intention inconsciente à l’égard de cet objet initial que le deuxième objet sur lequel porte l’acte vient représenter à son tour.
Freud en vient alors à évoquer l’observation de MJ Jekels publiée en 1913 dans le journal international de psychanalyse, p.195 à 197.
Les motifs d’un acte manqué comme la destruction d’un objet, tout en remontant à une époque éloignée de la vie d’un homme, peuvent aussi se rattacher à la situation présente.
Un médecin a reçu en cadeau un très joli vase à fleur sans valeur de l’une de ses patientes mariée. Quand il se rend compte que celle-ci souffre de psychose, il restitue à sa famille tout ce qu’il a reçu à l’exception de ce vase. Il éprouve des scrupules à le garder et se dit qu’il serait de toute façon difficile de l’emballer de façon à ce qu’il arrive intact après le transport. Ses remords l’ont même fait hésiter à réclamer des honoraires. À la suite d’une maladresse, il fait tomber le vase qui se brise en cinq morceaux, le lendemain d’un dîner en vue duquel il avait placé ce vase sur la table de la salle à manger. Cet acte manqué lui permettait certainement de récupérer ses honoraires puisqu’il détruisait ce qui l’empêchait de les réclamer.
Mais selon un déterminisme symbolique, ce vase constitue « un symbole incontestable de la femme ».
Ce médecin avait été marié et sa femme était morte dans des circonstances tragiques (par suicide). Il se considérait comme coupable de sa mort (j’ai brisé ce joli vase). A partir de ce moment là, ce médecin s’était écarté des femmes en pensant qu’il leur portait malheur et qu’il ne voulait pas qu’une autre femme se suicida à cause de lui. S’approprier ce vase était le moyen le plus adéquat pour satisfaire son intense libido.
Exigeant avec les femmes qu’il rencontrait, il en recherchait une beauté « n’ayant rien de terrestre » (morte, ayant perdu sa nature terrestre comme sa femme) et ne voulait rien savoir de la « beauté terrestre » (d’où la destruction du vase en terre). Sous transfert, il avait le projet imaginaire d’épouser la fille de son médecin et lui fit cadeau d’un vase.
Freud remarque l’existence de plusieurs motifs, au moins deux, venant séparément se refléter dans le « dédoublement de l’acte manqué » : le renversement du vase (briser une femme) et sa chute à terre (une femme non terrestre), page 198.
Freud remarque alors que le fait de laisser tomber quelque chose est souvent utilisé comme l’expression d’une suite d’idées conscientes (à signification sexuelle) que l’on retrouve dans les superstitions ou certaines interprétations populaires (renverser une salière, remplir son verre de vin, planter son couteau dans le parquet).
Un acte maladroit ne possède pas dans tous les cas la même signification, mais sert à exprimer une intention particulière, il est lui-même une manifestation de la névrose et une expression des idées inconscientes à contenu sexuel de leur auteur.
f- L’activité sexuelle nous fournit des preuves certaines du caractère intentionnel de nos actes accidentel. Ils répondent à des intentions sexuelles.
Dans cette partie transitoire du texte, Freud a donc pu affirmer l’existence de motifs actuels et conscients à l’acte manqué, le détournement par des intentions personnelles anciennes, antérieures à l’acte de suites d’idées conscientes et le caractère sexuel de ces intentions.
C’est une généralisation aux actes manqués complexes se référant à des suites d’idées multiples. Puis, Freud reprend le problème des actes manqués sous le nouvel angle de ses effets. En contradiction avec le début du chapitre. Cette fois-ci, les effets ne sont plus considérés par rapports aux buts conscients. Les effets sont désormais rapportés aux buts inconscients.
g- les effets consécutifs aux actes manqués sont généralement anodins. « D’autant plus intéressante est la question de savoir si des actes manqués d’une importance plus ou moins grande et pouvant avoir des effets graves et (…) peuvent être envisagé à notre point de vue », page 203. C’est-à-dire celui des intentions inconscientes. C’est donc par les effets consécutifs aux actes manqués quand aux buts inconscients que Freud introduit la question du suicide inconscient.
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1 – S. Freud, Psychopathologie de la vie quotidienne (trad. S. Jankélévitch), 1901, édition de 1923, petite bibliothèque Payot, 11, Paris, 1967
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