L’étonnant sang-froid en présence de prétendus accidents, le suicide inconscient, 4

Dans son chapitre 8 de la Psychopathologie de la vie quotidienne 1, Freud s’appuie sur des exemples cliniques pour étayer la thèse que les actes manqués relèvent d’intentions inconscientes sexuelles et multiples. Il en arrive alors à considérer les effets de ces actes manqué qui pour la plupart paraissent anodins pour leur auteur.
Peu-il arriver que ces actes manqué aient des effets graves ?
C’est par le biais de cette question que Freud examine la possibilité de suicides inconscients.
Sa première idée est de rappeler les actes manqués commis par des médecins ou des pharmaciens.
Freud cite l’exemple de sa propre erreur de manipulation avec une patiente au moment où il se trouve absorbé par l’élaboration de la légende d’Œdipe. Mais, « cette erreur fut encore inoffensive »… Et puis, la gravité de ces actes est présupposée par la fonction médicale. Il est difficile de parler dans ce cas d’actes inconscients.
Il reste donc toujours à savoir si, « dans les erreurs pouvant avoir des conséquences graves, il est possible de découvrir par l’analyse une intention inconsciente », p. 204.
Là, Freud s’en trouve réduit à des « hypothèses et des rapprochements ».
Il cite l’exemple de patients souffrant de psychonévrose grave, s’infligeant des mutilations dont on peut craindre qu’elles aboutissent au suicide. Mais, ces lésions sont volontaires et non pas inconscientes.

« Il existe chez ces malades une tendance à s’infliger des souffrances, comme s’ils avaient des fautes à expier, et cette tendance, qui tantôt affecte la forme de reproches adressés à soi-même, tantôt contribue à la formation de symptômes, sait utiliser habilement une situation extérieure accidentelle ou l’aider à produire l’effet mutilant voulu. Ces faits ne sont pas rares, même dans les cas de gravité moyenne et ils révèlent l’intervention d’une intention inconsciente par un certain nombre de traits particuliers, comme, par exemple, l’étonnant sang-froid que ces malades gardent en présence des prétendus accidents malheureux », page 205.

Il y a là deux choses bien distinctes :

  1. la tendance (consciente) à s’infliger des souffrances fait feu de tout bois pour arriver à son but. Elle sait utiliser les accidents extérieurs pour produire l’effet voulu
  2. l’intention inconsciente en est distincte. L’intention inconsciente n’est pas la tendance à s’affliger des souffrances. Elle se loge plutôt dans « l’étonnant sang-froid » que ces patients gardent en présence d’un accident malheureux

Si l’intention inconsciente est distincte de la tendance à se faire souffrir, il faut alors concevoir le suicide inconscient autrement centré que par la recherche d’une souffrance. Il doit pouvoir poursuivre d’autres buts.
Par ailleurs, l’intention inconsciente est suspectée de la même façon que précédemment quand Freud nous fait remarquer l’étrange « calme impassible » avec lequel le sujet accepte le dommage subi, ainsi que l’apparente « insignifiance » de ce dommage, page 194 et 195. C’est normal : cette intention inconsciente fait l’objet du refoulement.
En effet, « la mutilation volontaire qui ne vise pas la destruction complète », ajoute Freud dans la note 1 du bas de la page, ne doit-elle pas se « dissimuler derrière un accident ou s’affirmer en simulant une maladie spontanée » ?
Autrefois, la mutilation n’était–elle pas une expression « universellement adoptée » à d’autres époques pour exprimer la pitié et le renoncement au monde ? Freud ne pense-t-il pas à Moise ?
Le mystère reste entier. Car les mutilations sont volontaires et conscientes. Or, Freud cherche plutôt autre chose. Il s’agit pour lui de prouver l’existence d’actes consciemment exempts d’intention destructice mais dont le ratage pourrait avoir des effets néfastes.
Des actes manqués peuvent-ils avoir des effets graves et apparaître comme des suicides inconscients ? Est-il possible se montrer indifférent à la gravité des effets de nos actes de destruction ?
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1 – S. Freud, Psychopathologie de la vie quotidienne (trad. S. Jankélévitch), 1901, édition de 1923, petite bibliothèque Payot, 11, Paris, 1967

Articles précédents : « le suicide inconscient » pour Freud

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Déterminisme symbolique des actes manqués par méprise

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L’étonnant sang-froid en présence de prétendus accidents

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