Mat syndrome et crise suicidaire

Le « Mat syndrome » dans la crise suicidaire, est une idée issue du travail des écoutants de SOS Dépression, d’Urgences Psychiatrie et de La Note Bleue, à partir des appels d’adolescents suicidaires.

Ce beau travail mérite d’y apporter une attention soutenue, ainsi qu’une large diffusion. Les auteurs, G. Tixier et A. Meunier 1, ont inventorié les réponses des appelants suicidaires en espérant pouvoir en tirer des portraits. Les auteurs ont mis à jour six types d’appelants avec des portraits extrêmement différents. Ces portraits correspondent à des phases par lesquelles passe un même individu dans sa trajectoire suicidaire. Ils l’ont appelé le Mat Syndrome.

L’approche psychogénétique, structuraliste, est réactualisée par cette étude. A l’heure où l’esprit de systématisation semble avoir déserté la psychiatrie, cette étude le réveille. C’est une tentative de saisir la clinique d’un coup d’œil sous la forme d’une série et d’un enchaînement auxquels correspondent des « types », des « phases » et des discours. Leurs prédécesseurs sont illustres, par exemple Jaspers… Mais, la nouveauté, c’est que cet esprit s’applique à la question du suicide. Un lecteur de Lacan ne peut qu’être séduit par une telle approche.

Lacan aimait la mathématisation de la clinique. C’est ce qui lui a permis d’inventer des concepts qui s’avèrent utiles en retour dans le quotidien des séances. Cela vaudrait la peine de jeter un petit coup d’œil sur des textes comme « la lettre volée ». Il y a le même souci de décrire des phases qui ne s’enchaînent pas m’importe comment dans une série combinatoire dans laquelle s’inscrivent les discours.

Il y a peut-être la possibilité de pousser encore cette systématisation pour le suicide et aboutir ainsi à une modélisation, une mathématisation. Ce n’est pas rien. Cela consisterait à formuler un mathème qui tienne la route sur le plan clinique, de permette un repérage rapide dans les entretiens et de saisir la progression du sujet dans son élaboration de l’acte. En matière de suicide, ce projet est urgent.

Qu’est-ce que le Mat syndrome ?

Le passage d’une phase suicidaire à l’autre s’effectue par une crise ou par une modification défensive qui passe inaperçue si elle n’est pas décodée. Ces phases se distinguent par des propos différents en ce qui concerne le rapport au temps, à la vie, à la mort, à autrui… Ces “systèmes”, ces “mondes”, ces “constructions” ne semblent pas illimités. Les suicidaires présentaient certains points communs : parfois des stéréotypes indiscutables, le même ton, les mêmes phrases, les mêmes thèmes, les mêmes mécanismes et surtout le même lien tissé avec l’écoutant.

L’entrée dans chaque phase constitue un moment de rémission. Pour chaque phase, il y a trois solutions : la rémission, le passage à la phase suivante et le passage à l’acte. La crise suicidaire survient à l’acmé des troubles et plutôt à la fin de chacune des phases. C’est une construction psychodynamique qui se déroule de façon immuable. Cette construction permet au sujet concerné de transformer sa souffrance en une problématique de trajectoire suicidaire. Comme si ces portraits n’étaient que les phases d’un processus plus général. Le franchissement d’une phase est sans retour : ils ne reviennent jamais vers le portrait précédent. Ces jeunes sont entraînés dans une trajectoire suivant un projet de mort inscrit dans une construction dynamique.

Il y a un choc initial lié à un événement traumatique. Puis, il y a cinq phases.

Cinq phases

– l’imaginaire-roi où chez l’adolescent se produit une certaine déconnexion d’avec la réalité, une forme d’indifférence vis-à-vis de l’ordinaire de l’existence, alors que la mort se pare de vertus nirvaniques. C’est le type du “voyageur” : “présence” dans une réalité douloureuse ou son “absence” dans un monde imaginaire où règne l’idée de la mort : une mort salvatrice de toute souffrance. cela peut finir à tout moment si l’on veut, quand on veut.

– phase de lutte, charge anxieuse importante. C’est le type de “la victime” : désespoir. Il a renoncé à se battre. Sa vie lui a échappé. Il est entraîné par quelque chose qui le dépasse, aspire au soulagement. Il veut mourir, résigné, fataliste, loin de lui-même, il se vit en sursis.

– phase de renoncement, adopte une connotation dépressive. C’est le type du “naufragé” : quelque chose l’a envahi, le dépasse. Ce jeune lutte et ne parvient plus à se raccrocher à ce qui faisait sa vie. Il se sent glisser. La peur. Il a perdu ce qui le faisait vivre. Il se méfie désormais de l’ennemi intérieur, cet autre lui-même qui veut dicter sa loi fatale.

– phase de ressentiment, regain de vitalité teintée d’agressivité. C’est le type de “l’apôtre” : révolte. Sa mort, il ne l’annonce pas, il la revendique, mépris, dérision, nous serions incapables de le faire, même de l’imaginer. Il veut entraîner les autres dans cette solution. Loin des terriens qu’il hait et condamne. Ne trouveraient grâce à ses yeux que ceux qui le suivraient. C’est un meurtrier en marche qui a trouvé sa victime. Quant à ses proches, il les déteste. Agressivité.

– l’œil du cyclone, calme apparent et détachement trompeur qui masque l’élaboration du scénario fatal. C’est le type du “survivant” : D’une voix sereine, sans affectation, il nous annonce sa mort prochaine. Il savoure le calme de ses instants, il est dans l’œil du cyclone. Sa lucidité sur l’inutilité, les joies de la vie étonnent. Il a décidé d’y mettre un terme, tel est son choix mûrement réfléchi. Il a réponse à tous nos arguments et les exprime sans angoisse, sans hésitation. Il y trouve une satisfaction. Pourriture de son corps. Il a habitué ses proches à son absence. Une mort annoncée. Il sait pourquoi, comment et où tout ça va se conclure. La mort est une construction dont il est l’architecte, il savoure ce moment. Il est devenu maître de la mort. Rien ne lui fait peur. Froide détermination Il entend, mais ne communique plus, tout lien est débordé. Il est anesthésié, protégé de toute souffrance. Il est déjà hors du temps. Mortelle indifférence…

– Le passage à l’acte : “le désespéré” : Il ne parvient plus à se lever, se laver, peine pour le moindre geste, n’a plus envie de rien, ne croit plus en rien. Il se prend pour un moins que rien. Culpabilité. Les autres ne comprennent pas. Il se sait perdu. Caractéristique d’un syndrome dépressif.

Le repérage du ressenti de ces diverses phases et types de discours est hautement utile pour faciliter la sortie de la trajectoire. Il permet une évaluation pertinente du risque et de l’urgence du passage à l’acte suicidaire.


[1]G. Tixier Psychiatre, président de SOS Dépression et A. Meunier, Psychiatre, président de “La Note Bleue”, Auteurs de l’ouvrage La tentation du suicide chez les adolescents, PB Payot, 2005. Article publié dans Synapse, mai 2006, n° 225

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