Plus rapide que le suicide

Le roman de Philippe Adam se lit en deux secondes, moins qu’il n’en faut pour passer par la fenêtre. Un clin d’œil et la jeune japonaise s’est suicidée.
C’est l’histoire d’un homme, probablement psychologue, qui reçoit une jeune japonaise à l’ambassade du Japon à Paris. La jeune japonaise s’est suicidée. Il cherche à dire ce qui a cloché dans l’aide qu’il lui a pourtant proposée.
La jeune japonaise est venue à Paris pour une thèse. On ne sait pas grand-chose d’elle, si ce n’est qu’elle semble se plaindre de ne pas avoir d’amis. Les hommes à qui elle enseigne le japonais ont tendance à la poursuivre de leur assiduité.
Elle s’accroche à celui qu’elle vient voir à l’ambassade. Elle lui fait des cadeaux dont il a juste la patience d’attendre qu’elle ne parte pour les jeter.
Philippe Adam est allusif (« Le syndrome de Paris », Inventaire/invention édition, Collection Jet Stream, octobre 2006).
L’homme de l’ambassade ne voit rien, il ne comprend pas, que fait-elle à Paris ?, il s’énerve : « Vous pensez trop. On ne vous a pas demandé d’imiter la Joconde. On ne vous a pas demandé de la peindre. On ne vous a rien demandé. Rien. Vous êtes venue ici. Vous y êtes ».
Il parait que ce qui arrive à la jeune japonaise est une maladie. Ce serait même ce que l’on appelle le syndrome de Paris. L’attente déçue des japonais les conduirait soit au rapatriement, soit au suicide. Une explication sociologique en somme. Les japonais auraient une image idéalisée de Paris. Leur mode de vie serait à l’opposé de celui des français. Quand ils sont plongés dans la réalité, ils buttent sur le réel. Ils sont des étrangers radicaux.
Mais, alors, avec de telles explications, pourquoi tous les japonais de Paris ne suicident-ils pas ?
Cette explication est très insuffisante en ce qui concerne ce roman. Il s’y passe autre chose de bien plus important.
L’homme de l’ambassade ne l’aime pas. Il supporte mal ses retours incessants pour le voir. Il ne supporte pas ses critiques sur la décoration de son bureau. Sa présence même l’insupporte : « vous étiez là ». Et c’était déjà trop pour lui.
Pourtant, elle veut lui faire plaisir. Elle lui invente des rencontres.
Elle n’a que lui. Mais, il met en doute l’existence de ses rencontres. A juste titre, mais sans repérer que ces inventions sont comme ses cadeaux pour lui, pour l’encourager à la recevoir. Pour le faire désirer un peu, voire exciter la jalousie qu’elle pourrait lui supposer.
Sur cette méprise, l’homme de l’ambassade prend ces rencontres au pied de la lettre et tente de lui montrer ce qu’elles peuvent avoir de risqué pour elle. Fausse route, bien sûr.
Elle le lui dit à plusieurs reprises : « arrêtez. Arrêtez. C’est tout. C’est à vous que je le demande ». L’homme de l’ambassade ne réalise toujours pas sa méprise. Il a l’impression de se débarrasser d’elle quand il lui dit au revoir. Ça lui pèse.
Elle s’en rend compte. Elle tente de se faire aimer malgré tout. Elle se déclare, dit qu’elle veut se marier « sans avec savoir qui ». La méprise continue et l’homme de l’ambassade n’envisage même pas que ce pourrait être avec lui. Il croit qu’elle ne demande rien. Il va jusqu’à la traiter de folle.
Dépitée, elle lui dit qu’il ne l’aide pas malgré ce qu’il prétend vouloir faire : « ce n’est pas la bonne méthode ». L’homme lui reproche de se bloquer, mais c’est lui persiste : « je sais ce que je fais. J’ai assez d’expérience ». « Alors, moi, je continuais, je reprenais la thérapie malgré vous, j’insistais ». Seriez-vous prête à tout, lui demande-t-il.
Oui, elle serait prête à tout. Elle serait prête à tout pour se faire comprendre de lui. Et c’est ce qu’elle fait en passant par la fenêtre.
Il est trop tard, c’est allé trop vite. L’homme de l’ambassade ne peut que regretter. Il se dit qu’il aurait fallut la privilégier. La faire passer en premier quand elle arrive pour le voir le jeudi matin, par exemple. Une petite marque d’attention qui aurait pu la soutenir. Mais, il a eu peur et il l’a lâché. Dans le vide du rebord de la fenêtre.
Voilà pourquoi ce texte est important. L’homme de l’ambassade avait une responsabilité : celle d’assumer le fait qu’il était la seule personne à Paris en qui la jeune japonaise avait confiance.

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