Le mal-être a-t-il un genre ?

Cousteaux et Pan Ke shon ont étudié la question de la sexuation dans le suicide[1]. Leurs outils étant essentiellement épidémiologiques et statistiques, is prennent leur départ du livre princeps de Durckheim. Mais, la question vaut d’être posée. Leurs observations sont utiles car elles montrent la dimension sociologique de la question du genre pour le suicide. J’en retiens l’idée essentielle que la typologie sexuelle est fortement marquée dans ce domaine.

La question posée est celle de savoir pourquoi les hommes se suicident-ils plus que les femmes ?
 
A cette question, la sociologie a donné plusieurs réponses. Parmi celles-ci, les auteurs supposent l’existence d’idées fausses qui relèveraient de l’ordre de l’idéologie sociale. « Chaque genre emprunte des voies d’expression différentes du mal-être ». Ce qui est l’argument des auteurs qui contestent l’idée que les femmes seraient mieux protégée grâce à leur intégration familiale plus forte, thèse défendue par Baudelot et Establet (1984, 2006). Le mal-être a une expression « genrée ». Il y a un bénéfice différentiel « genré » au mariage.
Les hommes se suicident plus que les femmes, c’est une constante  
Il y a une constante épidémiologique d’une régularité rare : les hommes se suicident plus que les femmes.
Durckheim cela serait du à la moindre participation des femmes à la vie sociale. La présence conjointe des enfants favoriserait l’intégration et leur éviterait donc le suicide.
Comme les auteurs le dénoncent, il s’agit d’une « théorie naturalisant les désir sexuels masculins et féminins [2]».
Les sociologues ont par la suite souvent adopté cette position en la modulant modérément. Ainsi, Bernard estime que les femmes mariées dans leur ensemble, et pas seulement les femmes mariées sans enfants, subissent de « fortes attentes sociales attachée à leur rôle féminin ». Si bien que les femmes subissent les conséquences d’une réglementation (sociale) excessive[3]. La présence des enfants venant seulement « compenser en partie l’effet néfaste de la discipline matrimoniale ».
Pour Baudelot et Establet qui viennent le démentir. « La femme est statutairement plus engagée que l’homme dans les relations familiales ». Elle « assurent la continuité générationnelle », en contrepartie, elles seraient moins exposées au risque de la solitude.
Si bien que, selon ces hypothèses, les femmes tirent un « avantage marginal » à la domination masculine quand au suicide. Donc, les sociologues établissent une théorie des identités sexuées différenciées selon leurs rôles masculins et féminins.
Expression genrée du mal-être
Puis, les auteurs rappellent le mécanisme du suicide qui est de nature psychologique selon leur définition. Il est conçu comme la seule solution possible à certains dans des situations insupportables[4]. Pour le suicide et la dépendance alcoolique, les femmes paraissent moins exposées. Mais, pour la dépression et les tentatives de suicide, c’est le contraire. L’idée d’un « bien-être supérieur des femmes n’est alors plus défendable. D’où l’hypothèse que chacune de ces différentes expressions du mal-être comportent des « spécificités dans l’une est de genre [5]».
D’où la nécessité mobiliser plusieurs expressions du mal-être pour analyser ce genre de questions et « rejeter les explications qui naturalisent la plus forte dégressivité des femmes ». Une idée que répètent les auteurs aussi bien à propos du suicide que du « mal-être ».
Les auteurs le remarquent, les études statistiques « tendent à réifier (les femmes) en une constitution féminine plus délicate confondant ainsi effet et cause  [6]».
Cela revient pourtant à ne pas abandonner une forme de naturalisme sexué pour le suicide. Un naturalisme qui se loge dans une « spécificité ». Et en effet, les auteurs vont ensuite chercher où pourrait se cacher « l’expression genrée du mal-être » qu’ils cherchent !
Et les risques suicidaires graves ?
Et ils croient pouvoir la trouver dans les « risques suicidaires graves ».
Les auteurs reprennent alors les mêmes explications qu’ils dénonçaient de la part autres sociologue d’avoir utilisé pour le suicide lui-même.
Les femmes « répugneraient » à utiliser des formes violentes, les liens de dépendances entre les mères et les enfants seraient plus forts, elles auraient plus souvent à disposition des médicaments et non pas des armes à feu. Les hommes auraient pour vocation sociale d’assumer les responsabilités de chef de famille et seraient plus exposées aux évènements extérieurs qui engagent la représentation de la virilité. Aux femmes reviendraient la gestion du domestique.
Qu’est-ce qu’un risque suicidaire grave. Rien de plus subjectif et de moins objectivable que cela en clinique. Sa présence dépend beaucoup de la façon dont l’examinateur tient compte ou pas de ce qu’il entend de la part de son interlocuteur. Comment pourrait-on se fier à de telles cotations sans manifester un minimum de réticence et de scrupules.
Et ce n’est pas une étude statistique plus poussée, « multi-variée », qui détaille subtilement les catégories sociales des femmes ménopausées dont les enfants quittent le foyer, qui semble changer fondamentalement la tendance générale de la sociologie française de ce point de vue. L’utilisation de tableaux absolument incompréhensibles non plus d’ailleurs.
Les auteurs se heurtent à une sorte de mur des résultats statistiques. Au final de leur étude, le constat initial est le même, les femmes « présentent plus fréquemment un risque suicidaire grave [7]».
Les études sur l’effet protecteur du mariage pour les hommes quand au suicide ne viennent pas fondamentalement contredire cette série de représentations sociale. Le mariage exercerait une influence positive sur la dépression et la dépendance alcoolique des hommes dans pratiquement toutes les études citées.
Discussion
Que le suicide ait une expression genrée évoque un naturalisme sexuel pour le suicide. Et il ne semble pas, tout compte fait, que les sociologues qui ont hérité de Durckheim en dévient. Si les auteurs évoquent la possibilité d’une « construction sociale des genres [8]», ils ne s’en écartent pas fondamentalement durant leur étude. Se voulant plus critiquent, ils reprennent les idées principales de ce naturalisme sexuel. Tout au plus les auteurs démontrent-ils que la notion de mal-être n’apportent pas grand-chose de plus à résoudre la question. En effet, ce concept ne semble pas permettre à la sociologie de sortir de l’ornière naturaliste.
Au total, les auteurs concluent que les représentations sociales du mal-être reposent sur une « construction sociale des genres » qui vient « définir chaque genre lors de l’enfance » en « inculquant ces valeurs » dans l’enfance et venant « structurer aussi bien le comportement mental que physique de l’individu [9]».

 


[1] – Cousteaux A. S., Pan Ke Shon J. L., « Le mal-être a-t-il un genre ? Suicide, risque suicidaire, dépression et dépendance alcoolique », Revue française de sociologie, janvier-mars 2008, 49-1.Cousteaux A. S., Pan Ke Shon J. L., « Le mal-être a-t-il un genre ? Suicide, risque suicidaire, dépression et dépendance alcoolique », Revue française de sociologie, janvier-mars 2008, 49-1, article en ligne. « Le sexe du mal-être », article en ligne. « Contradictions apparentes des les expressions du mal-être », communication aux lundis de l’INED, le 27 11 2006, article en ligne
[2] – Ibid, p. 2
[3] – cela renvoie au suicide « fataliste » de Durckheim par « excès de réglementation »
[4] – Ibi, p. 3
[5] – Ibid
[6] – Ibid
[7] – Ibid, p. 10
[8] – Ibid, p. 10
[9] – Ibid, p. 10

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