« De plus, lorsque, contrairement à la loi, on fait de plein gré du tort à quelqu’un qui ne nous en a pas fait, on commet une injustice; et on le fait de plein gré si l’on sait à la fois qui l’on veut léser et par quel moyen. Or si quelqu’un, sous l’emprise de la colère vient de lui-même à s’étrangler, il accomplit ce geste contrairement à la raison droite, que ne permet pas la loi, donc, il fait preuve d’injustice, mais envers qui ?
Envers la Cité, sans doute, mais pas envers lui-même, car s’il consent à subir un dommage, nul en revanche ne consent à subir l’injustice .
C’est précisément pourquoi la Cité punit le suicide et qu’une forme de déshonneur s’attache en outre à celui qui s’est détruit lui-même, comme au coupable d’une injustice envers sa Cité ».
Aristote, Ethique à Nicomaque, Le Monde de la philosophie, Paris, Flammarion, traduction R. Bodeus, 2008, 208
L’analyse est très subtile. Elle a pour principe le cas de quelqu’un animé de colère contre autrui, contre une apparente injustice d’autrui dont il se croit victime. Si, au lieu de céder à la colère, il avait correctement délibéré et suivi sa « raison droite », il aurait dû réagir en demandant justice. Mais aveuglé, il s’imagine qu’en se tuant lui-même, il va punir autrui; ce qu’il fait sur le coup.
Il commet alors une autre injustice envers la cité et que ne permet pas la loi. Alors que la première injustice n’est encore punie par la Cité.
Aristote explique que certes, l’intéressé consent à subir lui-même la mort, parce que son souhait est, en réalité, de faire du tort à un autre. C’est en raison de ce souhait qu’il fait preuve d’injustice, et la Cité punira ce dommage.