Ludwig Binswanger était d’abord psychiatre à la clinique du Burghozli dirigée par Eugen Bleuler. Après sa rencontre avec Freud, il échange avec lui une correspondance assez volumineuse. Il crée ensuite la Daseinanalyse qui inspire la phénoménologie.
Dans l’une de ses lettres [1], Freud évoque d’abord le cas d’une patiente de Binswanger, Mlle Faure (le cas serait publié ( ?) dans Essai d’analyse d’une hystérie, 1909).
Mlle Faure a le fantasme d’une grossesse. Inconsciemment, elle considère que la grossesse est un empoisonnement. Sa peur de l’infection recouvre son envie d’avoir un enfant. La fécondation est pour elle une infection par les spermatozoïdes qui sont parmi « les bactéries les plus redoutées ». Le manteau représente dès lors un préservatif. La peur de se voire déformée dans le miroir est celle de se retrouver déformée par la grossesse. Son intérêt « porté sur comment c’est à l’intérieur », se réfère à l’intérieur du ventre maternel.
C’est alors que Freud pousse son raisonnement et l’étend au suicide. Ce qu’il en dit sonne alors comme une conséquence logique de ce qui précède. C’est aussi la reprise par Freud de la discussion qui vient d’avoir lieu à la société psychanalytique de Vienne le 24 mars 1909 [2].
« Quand une femme se jette par la fenêtre, non seulement elle tombe (…) mais, elle met bas ». Selon le même mécanisme associatif, symbolique que la chute des chevaux pour le petit Hans [3]. La peur devant le sang représente du coup (pour Mlle Faure) « l’effroi sadique devant les atrocités de l’accouchement ».
L’ensemble de ces équivalences est regroupé sous le signe d’un « complexe maternel » de la patiente. Quand une hystérique désire un enfant, elle s’identifie à la mère et devient finalement elle-même l’enfant dans le ventre de sa mère.
Pour Freud, cette façon d’associer les éléments cliniques, les symptômes selon leur signification, ce qu’ils symbolisent, est « une clé » qui ouvre « les énigmes de l’analyse ». C’est une façon de considérer les symptômes comme des signifiants qui renvoient à d’autres signifiants.
C’est alors que Freud pose des équivalences de signification du suicide selon le sexe. Il donne un « aperçu des modalités de suicide caractéristiques des hommes et des femmes [4]».
Pour les femmes :
– se jeter à l’eau : aller à l’enfantement
– se jeter par la fenêtre : mettre bas
– s’empoisonner : devenir enceinte
Pour les hommes :
– se pendre : devenir un pénis
– se tuer avec une arme à feu : manipuler un pénis [5]
Pour finir, Freud précise qu’elle est la fonction de cette « sexuation » par le suicide. Il se montre d’ailleurs assez catégorique. « Sans exception ». Ces modalités de suicide réalisent pour lui « des réalisations symboliques de désirs de nature sexuelle ». C’est-à-dire, une jouissance. Ces réalisations symbolique rendent effectives les jouissances du désir. Et les modalités de ces jouissances lui paraissent donc « caractérisées » par le sexe sur le plan symbolique.
Les commentaires freudiens sont confidentiels puisqu’il s’agit d’une correspondance. Ils ne se retrouveront que très rarement dans les publications ultérieures. En fait, Freud ne le mentionne qu’une seule fois dans son commentaire du cas de la jeune homosexuelle. Et encore, d’une façon fort discrète, soit en note de bas de page (note 2, page 261 dans l’édition des PUF de 1974).
Pourquoi Freud donne-t-il une place très accessoire à ces modalités sexuées du suicide ? A mon avis, Freud n’obtient ces « caractéristiques » sexuelles du suicide que par l’analyse d’un ou deux cas. Les siens ou celui de Binswanger. Peut-être Freud n’en trouve-t-il pas la réellement la généralisation attendue à toute situation de suicide. Que l’énigme reste encore le plus souvent fermée sans que Freud ne parvienne toujours à en trouver la clé ?