Mourez, disaient-elles ! L’écriture de Raymond Roussel

Pierre Henri Castel classe Raymond Roussel dans la catégorie des « fous littéraires  1 ». Foucault, Janet et Leiris s’y sont intéressé. Les similitudes avec James Joyce sont frappantes. Lacan y fait allusion dans ses Ecrits. Il aurait essayé de le rencontrer (sans y parvenir ? 2). S’il n’est fou, Roussel est pour le moins une star !

Vu l’intérêt de Lacan pour Joyce, nous pouvons d’ailleurs nous demander pourquoi n’a-t-il n’a pas beaucoup plus parlé de Roussel ? Mais, la lecture de Roussel est difficile. Car il fait un traitement de la lettre qui ne parvient pas toutefois à se constituer en sinthome. Et cet échec le précipite dans le passage à l’acte.

Il est facile et agréable de mourir !

Raymond Roussel se suicide le 14 juillet 1933, à Palerme. On retrouve son corps dans un hôtel. Il serait mort d’un forte dose de Soneryl (un barbiturique). Il aurait tenté de s’ouvrir les veines quelques jours auparavant. Au valet de chambre de l’hôtel, il s’adresse en riant : « Orlando, Orlando ! Comme il est facile et agréable de mourir ! 3».

Roussel voyageait en compagnie de Charlotte Dufrène qui tente de le persuader de séjourner dans une maison de repos à Kreutlingen, en Suisse. Elle est sa voisine de chambrée, Roussel a pris soin de verrouiller la porte qui sépare les deux chambres (il a aussi placé son matelas par terre et près de la porte. Charlotte, le soir précédant son décès, a entendu ou cru entendre quelque chose, et lui demande à travers la porte si tout va bien, Roussel lui répond d’un ton rude : « Ne t’inquiète pas 4»).

Le texte Comment j’ai écrit certains de mes livres a un statut très particulier par rapport à son suicide. Car, il n’est édité que longtemps après sa mort, en 1935. Et ses mots, surgis d’outre-tombe, résonnent pour la postérité : « Je reviens sur le sentiment douloureux que j’éprouvais toujours en voyant mes œuvres se heurter à une incompréhension hostile presque générale (…) Et je me réfugie, faute de mieux, dans l’espoir que j’aurai peut-être un peu d’épanouissement posthume à l’endroit de mes livres 5». Ce texte est comme une lettre de suicide laissée là sur la table de sa chambre d’hôtel.

Sachant que Roussel a surtout essuyé la réprobation de son public, ce qui était allé jusqu’au scandale, aux huées6 et même à l’interruption brutale de ses pièces de théâtre en cours de représentation, il est possible de penser que ce texte, édité après sa mort, soit une tentative, par le suicide, de récupérer cette gloire contredite par l’attitude du public. Mais, « Un peu d’épanouissement posthume » résonne largement avec le commentaire de Janet. Celui-ci a soigné Roussel pendant qu’il écrivait La doublure, à l’âge de 19 ans. Roussel éprouve alors une sensation de « gloire universelle » que Janet commente, en le citant d’ailleurs : « non, il ne s’agit pas du sentiment de sa valeur, du sentiment que l’on mérite la gloire, puisque (il) n’y pensait pas du tout auparavant. Cette gloire était un fait une constatation, une sensation, (il) avait la gloire 7».

Multiplicité des dons8

Roussel naît à Paris, le 20 janvier 1877, d’une famille riche. Son père est agent de change (lui-même fils d’un avoué normand). Sa mère est la fille du PDG de la compagnie générale des omnibus. Roussel a un talent de pianiste confirmé, il est aussi féru d’échec.

En dehors de son activité littéraire et théâtrale, Roussel voyage dans le monde dans une voiture qu’il a spécialement fait construire. C’est une sorte de van avant l’heure qui a la particularité de permettre une large vue du paysage et des endroits qu’il traverse par ce moyen. Elle est comme la réalisation de la barque dans laquelle nous pouvons le trôner sur une photographie de son enfance.

Mais, précise-t-il, « il faut encore que je parle ici d’un fait assez curieux. J’ai beaucoup voyagé. Notamment en 1920-21, j’ai fait le tour du monde (…) or, de tous ces voyages, je n’ai jamais rien tiré pour mes livres. Il m’a paru que la chose méritait d’être signalée tant elle montre clairement que chez moi l’imagination est tout ».

Roussel sort du bonheur parfait de son enfance

Roussel considère avoir eu une enfance au « bonheur parfait » et dont il garde un « souvenir délicieux 9». Dans sa biographie, il semble exister une période, précédent le déclenchement de sa psychose, au cours de laquelle se produisent au moins quatre choses importantes :

  1. avril 1893, sa sœur Germaine se marie avec Charles Letonnelier, comte de Breteuil
  2. octobre 1893, sa mère le place au conservatoire à 16 ans, dans la classe de piano, « après avoir triomphé d’une légère résistance de mon père »10. Roussel continue le conservatoire quelques années, il y a réussi plutôt bien. Il a du succès par ses imitations de musiciens accompagnées au piano. Mais, il décide assez vite à 17 ans, « d’abandonner la musique pour ne plus faire que des vers » : « Vers seize ans j’essayais de composer des mélodies dont je faisais les vers moi-­même. Les vers venaient toujours facilement, mais la musique restait rebelle ».
  3. mars 1894, naissance de Robert de Breteuil, le fils de sa sœur
  4. 6 juillet 1894, décès de son père, Roussel hérite de sa fortune, il a 17 ans

Mon chou chéri

Nous apprenons que Roussel a sans conteste un lien très particulier à sa mère. Sa mère lui écrira une lettre édifiante11 (En réponse à la lettre de Raymond qui lui envoie une série de caricatures de singes, dans lesquelles il dit se reconnaître). Sa mère s’exclame : « je suis indignée que tu prétendes m’envoyer ton portrait dans La lecture, je ne veux pas que tu mécanises ainsi mon œuvre de cette façon, tout le monde s’accorde au contraire à trouver que j’ai fait un chef-d’œuvre au physique et au moral. (…) Ainsi plus de mauvaises plaisanteries sur mon chou chéri auquel j’ai élevé un autel dans mon cœur dont je ne veux pas qu’on le déloge ». Elle distingue entre le Raymond de la réalité auquel elle écrit et le « chou-chéri », idéalisé, inattaquable, inaccessible à toute critique, l’être parfait dont elle se dit l’auteur, le chef d’oeuvre.

Lors du décès de sa mère (en 1911), Roussel exige qu’il soit pratiqué une fenêtre dans la partie supérieure du cercueil. Ce qui lui permet de continuer à voir son visage ou que sa mère continue à le voir, lui, son « chef-d’œuvre »….

Jaillissement, gouffre et chute

Nous pouvons considérer qu’il a véritablement déclenché sa psychose à l’âge de 17 ans. L’étude des textes de cette époque permet d’en retracer le chemin avec une grande précision et d’en recenser les étapes. Le jaillissement des rimes à 16-17 ans, le traitement de ce jaillissement par la surveillance, la brusque extinction des rimes à 19 ans au moment de La doublure, la précipitation du sujet, et enfin, le traitement par l’invention du procédé.

L’article de René Fiori12 revient en détail sur ces étapes, même si l’on peut critiquer sa tendance à privilégier l’idéal du moi selon l’orientation de J. A. Miller, plutôt que de prendre en considération la place de l’imaginaire chez Roussel.

Le jaillissement des rimes

A l’âge de 17 ans, Roussel écrit Mon âme. Dans ce poème, il dévoile la façon dont il doit traiter les phénomènes de langage auxquels il est confronté.

Mon âme est le récit d’un rêve dans lequel des rimes surgissent. Ces rimes se forment sous une forme imagée, graphique, ce sont des écrits qui littéralement lui apparaissent sous une forme imaginaire (ils ne sont donc pas entendu, ni formulé, ni prononcé).

C’est un jaillissement graphique, des lettres s’affichent à l’écran comme sur un ordinateur.

« Les rimes jaillissent en masse

Des profondeurs de son milieu13 »

« Des vers se forment dans mon âme (…)

Mais quoique je lutte et m’en blâme

A les faire je suis contraint ».

C’est un processus automatique, qui le contraint. Ces vers ont aussi une existence sensible, une consistance.

« Des vers (…)

N’ayant qu’un sens quelconque, feint »

Ces rimes n’ont pas de sens, elles sont donc sans point de capiton, le sens ne se boucle pas, nous sommes dans un défaut symbolique, il y manque un point d’arrêt, un principe de coupure. Le sens est quelconque, on en déduit facilement que le sens n’est pas là, il n’y a pas de sens à ces rimes et ces vers. Roussel le confirme :

« Une strophe jaillit ensuite

Mais si prompte quand je la sens

Que dans le moment de sa fuite

Je n’en peux épuiser le sens (…)

Je vois sortir une maxime

Dont je ne comprends pas un mot (…)

Quand je sens mes vers insoumis (…)

Ému de leur sens infinis ».

Un traitement par le symbolique, la ponctuation, le sens donné comme bouclé sur une et une seule signification lui est donc impossible. A la place, Roussel ne trouve que le « sens infini ». Il doit y appliquer un autre traitement que celui qu’il pourrait y faire sur un plan symbolique à l’aide de la métaphore. Car ces vers ne se plient pas au sens, ils y sont « insoumis ». Ils jaillissent dans l’imaginaire enveloppé du récit du rêve.

Le gouffre

Face à ce jaillissement, le sujet décide un traitement par le regard, ce qu’il appelle la « surveillance ».

«  Bientôt devant le puits j’arrive :

Sans bouger je surveille tout

Pour que chacun des vers s’écrive

Sans qu’on tarde, pendant qu’il bout (…)

Et sans effort, pour toute tache

Quand je sens mes vers insoumis

Jaillir malgré moi je les lâche

Ému de leur sens infinis »

Par la surveillance, le sujet parvient à surplomber cet embrasement. C’est une surveillance par le regard dont on a déjà suspecté l’importance 14.

« Sur la terre que je domine

Je vois ce feu continuel

Qui seul et sans frère illumine

Partout l’univers Actuel »

La source est une flamme qui illumine. Elle est unique, seule, « sans frère ». La thématique de l’embrasement et de l’illumination est discutée par Janet. Roussel lâche ses vers sur le monde qui s’incline devant son « génie universel ».

« A cette explosion voisine

De mon génie universel

Je vois le monde qui s’incline

Devant ce nom : Raymond Roussel »

Et c’est cette façon de transformer un phénomène automatique par une création du sujet qui rapproche tant Roussel James Joyce. Tout les deux se font un nom à partir de leur psychose15. Le dévidement des vers permet au monde de s’incliner devant son nom propre.

Ce traitement par la surveillance permet de cerner un « gouffre ».

« Bientôt devant le puits j’arrive ;

Sans bouger je surveille tout

Pour que chacun de ces vers s’écrive

Sans qu’on tarde, pendant qu’il bout (…)

En les recevant, je surveille

Toujours, de loin, de qui s’écrit

Dans le gouffre qui fait merveille

Grâce à ma tension d’esprit »

La surveillance permet de localiser le gouffre, de pouvoir au moins dire où se trouve « de qui s’écrit ». C’est-à-dire dans un « puits ». L’écriture des vers provient du gouffre d’un puits. Un puits qui illumine de vers et de rimes. Assimilable à un puits de fusion, le creuset d’une fonderie d’où jaillirait l’acier des vers en fusion dans une explosion de feu continuel.

La doublure

A l’âge de 19 ans, après avoir décidé de devenir poète, Roussel se lance dans la rédaction de La doublure. Il est plongé dans un état d’euphorie que Janet décrit en détail, le considérant comme un moment d’extase. Les phénomènes corporels, hallucinatoires et délirants sont à leur point culminant. Lors de cette euphorie, Janet rapporte le témoignage de Roussel avec une grande fidélité, la thématique principale est celle de l’illumination et de l’embrasement.

Roussel a l’impression d’illuminer en écrivant. « Ce que j’écrivais était entouré de rayonnements, je fermais les rideaux, car j’avais peur de la moindre fissure qui eut laissé passer au-dehors les rayons lumineux qui sortaient de ma plume 16». Ses vers illuminent le monde.

Mais, il y a aussi la thématique de l’écriture en tant que saignement : « Je saigne à chaque phrase 17».

La brusque extinction

La publication de La doublure, suit sa rédaction d’une année. Le 10 juin 1897 : la précision de la date délivrée par Roussel a valeur de coup de tonnerre. Roussel est confronté à un nouveau phénomène. Le jaillissement se tarit. Et c’est une véritable catastrophe car il n’est plus ce génie vers lequel le monde s’incline. L’admiration du monde à son égard se renverse en un dénigrement généralisé.

« Quand le volume parut, quand le jeune homme, avec une grand émotion, sortit dans la rue et s’aperçut qu’on ne se retournait pas sur son passage, le sentiment de gloire et la luminosité s’éteignirent brusquement. Alors, commença une véritable crise de dépression mélancolique avec une sorte de délire de persécution, prenant la forme de l’obsession et l’idée délirante du dénigrement universel des hommes les uns par les autres 18».

La précipitation

Cette extinction des rimes est accompagnée de la précipitation du sujet. « Quand La doublure parut le 10 juin 1897, son insuccès me causa un choc d’une violence terrible. J’eus l’impression d’être précipité jusqu’à terre du haut d’un prodigieux sommet de gloire 19».

Le procédé littéraire

Passé la précipitation, Roussel doit composer avec tout ce qui vient de lui arriver. La vie continue… même dans la mélancolie ! Il s’agit peut-être de retrouver une jouissance qui semblera par la suite ne plus jamais ré-apparaître.

Il se lance alors dans une sorte de traitement par la lettre que Lacan commente dans ses écrits20. Dans cette écriture, un événement comme une gifle, se répète et s’insère comme un signifiant d’où sortent les choix décisifs de sa destinée. Ces signifiants de la répétition sont comme les cartes de tarot que l’on vous tire pour vous annoncer votre avenir. L’écriture joue un rôle divinatoire.

« C’est ainsi qu’une gifle – à se reproduire à travers plusieurs générations, violence passionnelle d’abord, puis de plus en plus énigmatique en se répétant dans des scénarios compulsifs dont elle semble plutôt déterminer la construction à la façon d’une histoire de Raymond Roussel, jusqu’à n’être plus que l’impulsion ponctuant de sa syncope une méfiance du sexe quasi paranoïaque nous en dira plus long, de s’insérer comme signifiant dans un contexte où un œil appliqué à une chatière, des personnages moins caractérisés par leur psychologie réelle que par des profils comparables à ceux de Tartaglia ou de Pantalon dans la Comedia dell’arte, se retrouveront d’âge en âge en un canevas transformé – pour former les figures du tarot d’où sera sorti réellement quoique à son insu pour le sujet, les choix, décisifs pour sa destinée, d’objets dès lors chargés pour lui des plus déroutantes valences ».

Voici le « procédé 21» tel que Roussel le décrit. Il s’agit de prendre une expression et de trouver une signification pour chaque mot employé. Le récit doit alors commencer par la première expression pour finir par la deuxième.

En voici un exemple.

1- Les lettres du blanc sur les bandes du vieux billard

2- Les lettres du blanc sur les bandes du vieux pillard

Les Lettres sont pris soit dans le sens de signes typographiques, soit de missives,

Blanc est soit un cube de craie, soit un homme blanc (pas noir),

Bandes est pris soit dans le sens de bordures, soit de hordes guerrières,

Billard ne varie que d’une lettre, le « b » est changé en « p » et devient Pillard. Du coup, la signification de l’ensemble varie aussi.

Au niveau de la signification, nous obtenons deux chose bien différentes qui sonnent de façon identique à la prononciation :

1- les signes typographiques du cube de craie sur les bordures du vieux billard

2 – les missives de l’homme blanc sur les hordes guerrières du vieux pillard

La phrase 1 inaugure le roman et la phrase 2 le clôt. Entre deux, toutes les images se rapportant à chacun des termes seront largement développées.

Cet exemple est expliqué par Roussel lui-même qui en donne la clé dans son texte ultime au moment de son suicide, soit trente ans après avoir écrit le texte dans lequel il figure initialement : Impression d’Afrique.

Le procédé sera ensuite perfectionné. Il y aura un travail sur la matérialité du mot, la « dislocation 22» des mots. Roussel découpe les mots en plusieurs parties. Chacune de ces parties, isolée, donnant une nouvelle signification qui sert de point de départ pour de nouvelles images à intégrer dans le roman. Il y a aussi un travail de combinatoire. Roussel cherche à « marier 23» les mots et les prépositions.

Les impressions d’Afrique et Locus solus sont truffés du « procédé ». Il l’emploie aussi dans ses poésies ou dans des petits romans comme La chiquenaude24.

Mourez, disaient-elles !

Aucun des poèmes de jeunesse, avant Mon âme, ne nous est parvenu, à part quatre vers que les commentateurs s’accorderaient à placer avant Mon âme, donc avant l’âge de 17 ans. Ce point est très discutable. Car, en somme, il est difficile de savoir quand commence le jaillissement des rimes… Toujours est-il que ce jaillissement tranche avec le « bonheur parfait » de son enfance. Nous supposons bien sûr que les événements de 1893-94 y contribuent.

Roussel commente et cite ces vers :

« dans ma grande jeunesse, je m’étais amusé à ajouter (quatre vers) à la poésie de Victor Hugo qui débute ainsi :

Comment, disaient-­ils,

Avec nos nacelles

Fuir les alguazils ?

– Ramez, disaient-elles

Voici ces quatre vers qui devaient suivre les derniers de la poésie :

Comment, disaient-ils,

Nous sentant des ailes

Quitter nos corps vils

– Mourez, disaient-elles 25»

Curieux vers, en miroir de ceux de Victor Hugo. Roussel leur applique son procédé. Des vers dans lesquels Roussel évoque la possibilité de se retrouver quitter son « corps vil » appelé à mourir, se « sentant des ailes ».

Cela indique peut-être que l’idée du suicide est d’emblée inscrite dans les vers, les rimes du jaillissement et toute la poésie de Roussel. Cela se produit comme si Roussel, confronté au jaillissement des rimes, était d’emblée confronté à une alternative mortelle. Soit il parvenait à y parer, par la surveillance et le procédé. Soit, il devait mourir. Comme si le suicide était déjà inscrit dans le jeu de la lettre que Roussel organise sa vie durant.

Son teste est posthume en l’absence physique de l’auteur ayant quitté son « corps vil ». Ce qui est le deuxième point commun avec Joyce (avec le nom propre). Sauf que pour Joyce, c’est le corps qui quitte le sujet. Pour Roussel, c’est l’inverse.

Ce texte, c’est de la lettre à l’état pur. Un ensemble de vers et de rimes qui jaillissent du papier. A la différence du rêve de Mon âme, la position de Roussel est changée de perspective. Au lieu de surveiller, Roussel a peut-être espéré s’en faire le puits et la source. A ce moment, après s’être longtemps tenu au bord du puits, Roussel est, si j’ose dire, tombé au fond ou encore, avec son suicide, il incarne maintenant celui « de qui s’écrit dans le gouffre qui fait merveille ». Il tente de rejoindre le point de l’énonciation. Il tente de devenir celui qui écrit mais au prix de sa propre perte. Conscient de l’écart irréductible entre l’écrivain et la source de l’écriture, son passage à l’acte apparaît comme la tentative d’incarner ce point inatteignable de l’écriture. C’est ainsi que la tentative d’établir un sinthome est un échec.

1 – France culture, « Les nouvelles maladies de l’esprit », émission du 01 04 2010

2 – mentionné dans Michel Leiris, Roussel et Co, Paris, Fata Morgana, Fayard, 1998, p. 111, rapporté dans Fiori René, « Raymond Roussel, une poesis de lalangue comme sinthome», Les surprises du sexe, La Cause freudienne, 2009, n° 73, p. 177-188

3Ibid, cité à cette adresse : http://homepage.univie.ac.at/manuel.chemineau/Texte/roussel.html#vie

4 – raconté par Caradec, déjà cité

5 – Roussel R., Comment j’ai écrit certains de mes livres, Paris, Gallimard, L’imaginaire, 1995, p. 33

6 – A la première de L’étoile au front, l’un des adversaires de Roussel crie à ceux qui applaudissent : « hardi la claque ! ». Robert Desnons répondit : « nous sommes la claque et vous êtes la joue ! ». Roussel remarque : « nous sommes la claque et vous êtes jaloux ! », Roussel, Ibid, p. 32

7 – Janet P., « Les caractères psychologiques de l’extase », De l’angoisse à l’extase, Paris, 1926, tome I, p. 132-137, texte cité dans Roussel R., Ibid, p. 127-132 ou consultable sur internet : http://classiques.uqac.ca/classiques/janet_pierre/angoisse_extase_1/version_1_avec_images/angoisse_1_avec_figures.html

8 – Michel Leiris, Journal, 13 juillet 1964

9– Roussel R., Ibid, p. 28. « J’ai gardé de mon enfance un souvenir délicieux. Je puis dire que j’ai connu là plusieurs années d’un bonheur parfait ».

10 – Ibid

11 – lettre du 8 octobre 1902, citée par Caradec, Ibid, p. 24, je n’ai pas pu consulter La lecture

12 – Fiori R., Ibid

13 – Roussel R., « Mon âme », Œuvres, tome I, Paris, Pauvert, 1994, p. 44 à 57

14 – Fiori évoque une « inversion imaginaire ». En effet, dans un espace imagé, le sujet se retourne pour contempler le jaillissement des rimes. Mais pas seulement ! Cette « inversion sur le plan imaginaire » marque la décision du sujet de tenter quelque chose contre le jaillissement. Fiori R., Ibid, p. 179

15 – Dans le cas de Roussel, s’agirait-il de faire en sorte que le monde s’incline devant les lettres de son nom ?

16 – Janet dans Roussel R., Comment j’ai écrit certains de mes livres, p . 129

17Ibid, p. 127

18Ibid, p. 129

19Ibid, p. 29

20 – Lacan J., Ecrits, Paris, Seuil, p. 448 

21 – Ibid, p . 12

22 – Roussel, Ibid, p. 20

23Ibid, p. 14

24 – Raymond Roussel, Chiquenaude, Paris, Alphonse Lemerre, Palerme, 1900. « Les vers de la doublure dans la pièce du fort pantalon rouge ! …. ». L’auteur explique qu’il a écrit des vers pour la doublure dans le personnage de Méphistophéles dans la pièce « Forban talon rouge ». Il vient assister à la pièce avec retard pour « voir l’effet que produisaient les quelques rimes qu’il a écrit. Méphisto se croit invulnérable à cause d’une étoffe magique, ce qu’il chante en vers. La marraine de Panache, Chiquenaude, une sorcière, fabrique une doublure à cette tunique. Du coup, Panache parvient à tuer Méphisto dans le duel. Méphisto avait couché avec sa maîtresse ce que Chiquenaude avait surpris et n’avait pas toléré. La doublure avait pulvérisé la tunique magique. Après sa mort, Chiquenaude, ironique, chante les vers de la doublure. Les doublures ont deux significations : 1- l’acteur qui remplace celui qui doit jouer Méphisto et qui est malade ce soir-là. 2- la doublure de la tunique de Méphisto fabriquée par Chiquenaude

25 – Ibid, p. 33

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