Quand l’entourage ne croit pas au suicide

En ce qui concerne l’entourage d’un suicidaire ou des endeuillés après un suicide, deux choses sont importantes. Cet entourage le sait-il ?

Est-il prêt à le croire ? Que ce soit de croire ce que lui dit celui qui veut mourir ou de croire que l’acte du défunt est bel et bien un suicide.

Cette façon de poser le problème permet de distinguer des situations différentes selon que l’on sait ou pas ; que l’on y croit ou pas.

Cela conduit à quatre possibilités :

1- on ne le sait pas et on ne le croit pas 

2- on le sait et on ne le croit pas 

3- on ne le sait pas et on le croit 

4- on le sait et on le croit 

Une inconnue incroyable

La première situation possible est de ne pas savoir qu’un proche veut se suicider et de ne pas le croire possible. La tendance à la destruction existe, mais elle n’est pas toujours présente à l’esprit de l’entourage. Comme les tours du 11 septembre 2001. On imagine la catastrophe possible. Et puis l’écran se crève, le rideau se lève sur le désastre. Les tours sont bel et bien détruites. Le passage à l’acte a détonné.

En somme, bien que l’entourage en ait déjà fait l’expérience avec d’autres personne que leur proche ou qu’on lui en ai déjà assez parlé pour être prévenu de la réalité du suicide, c’est comme s’il n’y croyait pas. Ce qui explique que l’entourage passe souvent à côté des préparatifs d’un suicide. Sans le savoir.

Savoir l’incroyable

Même si l’on sait que l’un de ses proches va mal et qu’il est susceptible de se suicider, il faut encore parvenir à le croire possible. L’histoire de Martine en est un exemple. Elle savait que son frère allait mal et que le suicide était au bout, mais elle ne l’a pas cru possible.

Martine évoque sa fille de 12 ans, Julie qui n’accepte pas la présence de son jeune frère de 9 ans, Damien, « c’est tout pour elle et rien pour les autres. Elle n’a jamais accepté la naissance de son petit frère ».

Il se trouve que la relation de Julie avec son frère est le calque de celle de Martine avec son frère. Martine et sa fille sont toutes les deux jalouses de leur frère. Mais les difficultés de Martine avec sa fille lui cachent celles avec son frère. Tout en le sachant, elle ne fait pas état de ce qui arrive à son frère en entretien et ne se préoccupe que de sa fille. Cela lui permet de ne pas s’en sentir responsable.

Plus tard, Luc se suicide chez lui avec des médicaments. En concubinage avec une autre femme, son frère se sépare d’elle peu avant son suicide alors que les rapports avec son ex-épouse s’enveniment et qu’il ne peut pas voir ses enfants. Martine savait que Luc n’allait pas bien, mais elle n’a pas cru qu’il pourrait en mourir.

Ce qui l’a empêché de venir en aide à son frère et même aggravé son isolement. Son refus d’y croire l’a rendu responsable de son suicide.

Croire à ce que l’on ne sait pas

Inversement, l’entourage peut croire le suicide possible sans savoir que cela concerne l’un de ses proches. Dans ce cas, la prise de conscience se fait par le biais d’un tiers comme pour Jeannine.

Jeannine en veut à sa mère, mais elle ne sait pas que sa mère pourrait se suicider. Elle est toutefois prête à croire que quelqu’un d’autre peut se suicider.

Jeannine enseigne aux tout petits en maternelle. Un jour de classe, Jeannine voit arriver Lucie, cinq ans, avec son père en larmes. La mère de Lucie venait de se suicider. Divorcé, le père de Lucie va la reprendre avec lui, Lucie devra changer d’école. « Je lui ai dit qu’elle retrouverait d’autres copines en changeant d’école ». Jeannine s’effondre en sanglots, elle est profondément touchée par la scène de ce père avec une jeune fille ayant perdu sa mère. « Elle venait toujours avec sa grande sœur. Si sa mère l’amenait à l’école. Sa mère était marquée par la vie, elle avait eu trois enfants, comme ma mère. C’était toujours la grande sœur qui parlait pour sa mère comme moi pour mes sœurs. Qui est cette mère pour faire ça à ses enfants ? »

Jeannine est clairement identifiée à la grande sœur de Lucie. Quand elle la voit arriver avec son père alors que sa mère vient de se suicider, Jeannine rencontre chez d’autres, une partie de sa propre histoire.

En effet, Jeannine passe son temps à m’expliquer qu’elle ne supporte pas sa mère dont elle trouve l’action néfaste pour ses frères et sœurs. Jeannine a depuis longtemps décidé de s’interposer. Cela montre ce que Jeannine refusait jusqu’à maintenant : pour pouvoir se tenir près de son père, il fallait mettre sa mère à l’écart. Dans un effet d’après-coup, Jeannine réalise que la mise à l’écart de sa mère pouvait lui être éprouvant au point de signifier sa mort. De fait, ce refus la rendait aveugle à la souffrance de sa mère et faisait de Jeannine la dernière personne à pouvoir comprendre et lutter contre la détresse de sa mère.

Croire à ce que l’on sait

Certaines rares personnes parviennent à croire en ce qu’ils savent de leur proche. C’est le cas de Agnès Favre qui a rédigé un roman qui porte sur le suicide de sa fille, Sarah2. Je pense que cette situation exceptionnelle est le résultat du travail que Favre a pu produire avec l’aide de son psychothérapeute, le Dr Marie Choquet, et sans doute aussi de l’écriture.

Sarah veut mourir après le déménagement de ses parents quand elle a 14 ans. Même si Favre espère le contraire, elle sait que sa fille veut mourir. Etapes par étapes, elle raconte le développement sinistre d’un processus qui conduit finalement Sarah à se jeter du pont d’Aquitaine à l’âge de 16 ans.

Bien sûr, le fait d’avoir su et d’avoir cru sa fille n’a pas empêché le passage à l’acte. Mais, il est possible que cette forme de lucidité ait permis à Favre de ne pas vouloir y passer ensuite. Son témoignage est bouleversant.

Au-delà de l’incroyable

L’entourage a donc une double tâche à réaliser après un décès par suicide. La première étant de connaître les idées de suicide du proche concerné ou de parvenir à reconnaître qu’il s’agit bel et bien d’un suicide, malgré les apparences d’accident de toutes sortes. Il s’agira pour cet entourage de surmonter la surprise initiale, de décrypter les signes parfois minces de la souffrance actuelle ou passée du suicidé. Cet entourage aura aussi à s’affronter à l’énigme d’un acte dont l’entourage s’aperçoit après-coup des déterminants sans pouvoir en avoir forcément la confirmation.

Savoir que l’un de ses proches envisage le suicide ne suffit pas. Les raisons de cette incroyance sont méconnues de l’entourage comme nous l’avons vu pour Jeannine Elles sont parfois articulées à un vœux inconscient comme le montre l’histoire de Martine.

Ces éléments sont importants à souligner auprès de l’entourage quand on les reçoit après le décès de leur proche. Il est nécessaire de lui permettre d’y accéder.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *