D'un acte qui ne soit pas politique ?
L’acte politique d’après Arendt, peut aussi bien conduire à une répétition mortelle qu’à une création. Pour le suicide, nous tombons sur une double division pour l’acte.
La fausse distinction entre un suicide qui échoue et un suicide qui réussit, renvoie à la différence entre un acte répète l’existant, qui reproduit sans modifier les choses, qui ne change rien, et un acte qui prend une signification nouvelle, un acte créateur de signification susceptible d’une reprise dans l’opinion publique, d’un changement dans le discours, un acte qui a un effet de signification valable pour tous. C’est-à-dire, un acte qui a une portée politique. Continuer la lecture de « D'un acte qui ne soit pas politique ? »
Les deux appels de l’acte : inédit et pensée
Arendt cherche surtout une définition de l’acte qui ait une portée politique. Nous cherchons à en voir l’intérêt pour le suicide.
Politique ?
C’est-à-dire qui touche à l’universel, nous concerne. Non pas une partie des hommes, une faction, un groupe politique, une classe sociale ou une individualité, un Roi, un tyran, un leader. Une action politique qui pourrait atteindre tous les hommes et les mobiliser. En ce sens, elle porterait au-delà de l’individu qui en est l’auteur. C’est tout le paradoxe d’un acte particulier dont les effets seraient universels.
A ce niveau, la recherche d’Arendt ne serait-elle pas une utopie ? Continuer la lecture de « Les deux appels de l’acte : inédit et pensée »
L'homme est libre parce qu'il est un commencement !
Il s’agit de cerner la définition de l’acte formulée par Hannah Arendt. Un acte dans sa dimension politique. J’ai déjà évoqué son côté fondateur, un acte est un début dans la mesure où il tranche avec un passé.
C’est aussi quelque chose d’indépendant de la volonté simple. Il ne suffit pas de vouloir. Car la volonté est divisée en elle-même en deux parties. Cette division est « monstrueuse » et cache un conflit mortel, dit Arendt.
Enfin, la volonté sépare le sujet de la pensée et du savoir.
Fonder la liberté d’un acte sur la seule volonté, c’est faire de la volonté un pouvoir qui devient oppresseur Continuer la lecture de « L'homme est libre parce qu'il est un commencement ! »
Un acte public ou privé ?
Vient une question sur l’acte à propos du suicide. Peut-on le considérer comme une fin, un terme, la borne d’un parcours qui marque le point d’achèvement d’un projet ? Le suicide peut-il avoir une direction, désigner un point vers lequel il va tendre et vers lequel l’acte sera orienté ? Ce point est-il politique ?
La lecture de Hannah Arendt, en particulier La crise de la culture conduit à cette remarque. Essentiellement politique, l’acte est un début. Il est fondateur et tranche sur ce qui précède. Ce n’est pas le terme d’un parcours dont il serait possible de déduire la fin. Au contraire, il tranche sur ce qui précède. Continuer la lecture de « Un acte public ou privé ? »
Le dédoublement de l’acte, Le suicide inconscient, S. Freud, 3
Dans son chapitre 8 de la Psychopathologie de la vie quotidienne 1, Freud étudie les actes maladroits. Il a commencé par distinguer les actes par méprise, des actes symptomatiques. En précisant les actes par méprise, il en est venu à souligner leur « déterminisme symbolique ». L’acte manqué représente un objet. Il traduit une intention inconsciente à l’égard de cet objet initial que le deuxième objet sur lequel porte l’acte vient représenter à son tour.
Freud en vient alors à évoquer l’observation de MJ Jekels publiée en 1913 dans le journal international de psychanalyse, p.195 à 197. Continuer la lecture de « Le dédoublement de l’acte, Le suicide inconscient, S. Freud, 3 »
Actes destructeurs visant inconsciemment la vie de tierces personnes, Le suicide inconscient, S. Freud, 9
A la fin de son chapitre 8 de la Psychopathologie de la vie quotidienne 1, publié en 1923, Freud affirme donc l’existence d’une tendance destructrice inconsciente capable de détourner le refoulement et de s’exprimer dans les actes manqués par méprise sous la forme de l’indifférence du sujet. Ce qu’il distingue des actes symptomatiques qui sont des formations de compromis. Freud égrène les exemples cliniques afin d’accréditer la thèse de l’existence de suicides inconscients. Après avoir exposé l’observation de Ferenczi, il évoque un cas de « sacrifice » rapporté par M.J. Starcke.
Ce cas est destiné à illustrer la valeur destructrice de certains actes manqués. Il ne s’agit pas d’un cas de suicide. La question est de savoir si l’on peut parler de symptôme….
Une dame dont le gendre devait partir pour l’Allemagne – il était appelé par son service militaire – se brûla les pieds. Sa fille était sur le point d’accoucher et le pays d’entrer en guerre. La veille du départ de son gendre, elle invite le couple à dîner. Pour préparer le repas, elle mit les « grandes pantoufles larges et ouvertes de son mari », ce qui ne lui arrivait jamais. Elle fit tomber une grande marmite de soupe brûlante sur ses pieds et se brûla. Tout le monde vit dans cet accident un effet de sa maladresse et de sa nervosité.
La maladresse était le « paravent » derrière lequel se dissimulait la rage de cette dame contre « la propre intégrité et la propre vie » (du couple), page 213.
Là, la conception des actes manqués dont l’effet est suicidaire pour le sujet, est élargie à des intentions inconscientes visant à menacer « la vie et la santé de tierces personnes », page 214. Après avoir montré la possibilité qu’un acte manqué suicidaire puisse viser le sujet, il n’est en effet pas absurde de supposer que ces intentions inconscientes puissent viser un tiers.
1 – S. Freud, Psychopathologie de la vie quotidienne (trad. S. Jankélévitch), 1901, édition de 1923, petite bibliothèque Payot, 11, Paris, 1967
Les autres articles : « le suicide inconscient » pour Freud
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Un cas freudien d’acte destructeur manqué
Le suicide mi-intentionnel est-il un suicide inconscient pour Freud ?
Actes destructeurs visant inconsciemment la vie de tierces personnes
La multiplication des causes, Le suicide inconscient, S. Freud, 8
A la fin de son chapitre 8 de la Psychopathologie de la vie quotidienne 1, publié en 1923, Freud affirme donc l’existence d’une tendance destructrice inconsciente capable de détourner le refoulement et de s’exprimer dans les actes manqués par méprise sous la forme de l’indifférence du sujet. Ce qu’il distingue des actes symptomatiques qui sont des formations de compromis. Puis, Freud en vient à rendre compte de deux exemples cliniques issus de la pratique de Ferenczi. Freud les considère comme de véritables cas de « suicides inconscients ». Ils visent à démontrer la valeur de symptômes d’actes destructeurs « mi-intentionnels ».
Mr J. Ad. s’est logé une balle dans le crâne. Mais il n’éprouve aucun malaise. Il déclare qu’il s’agit d’un simple accident. Il jouait avec le revolver de son frère et, voyant qu’il n’était pas chargé, il avait appuyé avec la main gauche contre la tempe gauche (il n’est pas gaucher). Le coup était parti. C’était à l’époque où il devait se présenter devant un conseil de révision. Il avait été déclaré inapte. De retour chez lui, il joua avec le revolver sans avoir l’intention de se faire du mal. Il venait de quitter une jeune fille qu’il aimait. Amoureuse elle aussi, elle était partie pour l’Amérique gagner de l’argent. Les parents de J. Ad. s’opposèrent à ce qu’il la suive. « Le fait qu’il tenait le revolver, non de la main droite, mais de la main gauche, prouve qu’il ne faisait réellement que « jouer », c’est-à-dire n’avait « aucune intention consciente de se suicider », page 210.
Férenczi évoque un deuxième cas clinique qui rappelle la maxime : « celui qui creuse un fossé pour autrui finit par y tomber lui-même ».
Mme X., mariée, trois enfants, d’un bon milieu bourgeois, est victime d’un accident qui entraînera une mutilation grave, heureusement momentanée, de la face. Dans une rue en réfection, elle trébuche contre un tas de pierre et se trouve projetée la face contre le mur. Elle venait de prévenir il y a pas longtemps, son mari, qui ne tenait pas sur ses jambes, de faire attention en passant dans cette rue. Elle avait déjà eu l’occasion de constater qu’elle était toujours elle-même victime des accidents contre lesquels elle mettait en garde les autres. Immédiatement avant l’accident, elle avait vu dans une boutique, en face, un joli tableau. Elle s’était dit que ce tableau ornerait bien la chambre de ses enfants et s’était décidée à l’acheter. Traversant la rue, elle trébucha, « sans faire la moindre tentative pour parer le coup en étendant les bras ». Elle oublia son projet d’acheter le tableau. Elle n’avait pas fait davantage attention car il s’agissait, selon elle, d’un « châtiment ».
« Après cette histoire, j’avais des remords, je me considérais comme une femme méchante, criminelle et immorale ». Il s’agissait d’un avortement. Enceinte pour la quatrième fois, le ménage était dans une situation pécuniaire précaire, elle avait avorté. « Je me faisais souvent le reproche d’avoir laissé tuer mon enfant et j’étais angoissé à l’idée qu’un crime pareil ne pouvait rester impuni ». Cet accident était donc un châtiment que la malade s’était infligé en expiation du péché qu’elle avait commis et « peut-être en même temps, un moyen d’échapper à un châtiment inconnu et plus grave qu’elle redoutait depuis des mois », page 212.
Au moment où elle avait traversé la rue, toute cette histoire avait surgi dans ses souvenirs avec une intensité particulière. « Quel besoin as-tu d’un ornement pour la chambre des enfants, toi qui as laissé tuer un de tes enfants ? Tu es une meurtrière ! Et le grand châtiment est proche ! ». Elle prit cette idée comme prétexte. C’est ce qui explique qu’elle n’ait pas songé à étendre les bras pendant la chute et que l’accident lui-même ne l’ait pas impressionné outre mesure. On peut voir « une autre cause » de son accident dans la recherche d’un châtiment pour son désir inconscient de voir disparaître son mari, page 212. Ce désir s’est exprimé dans la recommandation qu’elle lui faisait de traverser la rue avec la plus grande prudence, désir inutile étant donné que son mari marchait déjà en prennant les plus grandes précautions.
Le deuxième cas de Ferenczi illustre parfaitement le suicide inconscient comme symptôme. L’acte est un compromis entre une intention et sa répression. D’une part, Mme X. à l’intention de se punir ainsi que de punir son mari pour avoir tué son enfant. D’autre part, cette intention inconsciente est réprimée. Le conflit s’exprime dans ses détails au cours de sa chute.
S’il y a conflit, il y a symptôme, une formation de compromis. Freud pourrait donc maintenant s’autoriser à parler de suicide en tant que symptôme.
Nous allons voir que Freud n’y parvient pas. Il n’arrive pas à nous exposer un cas indiscutable de « suicide symptôme » (et il ne fait d’ailleurs aucune référence à celui de La jeune homosexuelle). A la fin de son chapitre, il est donc obligé de prendre un biais. Il devra repartir des « actes manqués destructeurs à l’égard d’un tiers » pour démontrer l’existence « d’actes destructeurs symptômes » (et non pas de « suicides symptômes »).
1 – S. Freud, Psychopathologie de la vie quotidienne (trad. S. Jankélévitch), 1901, édition de 1923, petite bibliothèque Payot, 11, Paris, 1967
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Actes destructeurs visant inconsciemment la vie de tierces personnes
Un cas freudien d’acte destructeur manqué, Le suicide inconscient, S. Freud, 5
Dans son chapitre 8 de la Psychopathologie de la vie quotidienne 1, Freud aborde enfin « le seul » cas d’acte manqué destructeur provenant de son expérience personnelle, page 205.
Une jeune femme tombe de voiture et se casse la jambe. Elle étonne tout le monde par son « calme » et son « indifférence » à la douleur, alors qu’elle se voit contrainte à un alitement de plusieurs semaines. Cet accident a préludé à la névrose et une psychanalyse réussie.
Son calme et son indifférence ne laissaient-ils pas suspecter des intentions inconscientes à l’accident ?
Avant l’accident, la jeune femme se trouvait avec son mari jaloux chez l’une des ses sœurs avec ses autres sœurs et leurs maris. Un soir, elle offre de danser le cancan en « véritable virtuose ». Mécontent, son mari lui chuchote qu’elle se conduit comme « une fille ». Après une nuit agitée, la jeune femme prend les chevaux et s’oppose à ce que sa sœur prenne son bébé dans la voiture. Très angoissée, elle saute de la voiture au moment où ses chevaux refusent de se laisser maîtriser. Elle se casse une jambe. Cet accident parait « arrangé d’avance » et se produit « à propos », « comme s’il s’était agit d’une punition pour une faute commise » : pendant de longues semaines, elle ne pourra pas danser le cancan…
Il s’agit d’une « auto-mutilation » qui ne visait pas la destruction complète du sujet, son suicide, certes. Mais, son acte trouve le moyen de détourner le refoulement pour produire la punition. Malheureusement, Freud n’en dit pas beaucoup plus…
La réelle intention inconsciente n’est pas si claire dans cet exemple. Mais, il illustre bel et bien la séparation entre la tendance consciente à exécuter un acte destructeur et une intention inconsciente distincte qui permettrait d’expliquer le calme et le sang-froid qui succèdent à l’accident.
Cet exemple ajoute un petit plus. La cause déclenchante parait se rapporter à un enjeu sexuel en réponse à la récrimination de l’autre.
Il est désormais clair que la calme et l’indifférence aux conséquences de l’acte manqué est le critère essentiel pouvant mener à découvrir une intention inconsciente destructrice. Avec ce cas, Freud attire notre attention sur la possibilité d’une maladresse dont les effets sont destructeurs. Si l’acte parait plus bizarre, absurde, que maladroit, il n’est pas pour autant un acte symptomatique au sens freudien. Freud ne discutera la valeur symptomatique de certaines maladresses qu’à la fin de l’article.
1 – S. Freud, Psychopathologie de la vie quotidienne (trad. S. Jankélévitch), 1901, édition de 1923, petite bibliothèque Payot, 11, Paris, 1967
Articles précédents : « le suicide inconscient » pour Freud
Déterminisme symbolique des actes manqués par méprise
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Un cas freudien d’acte destructeur manqué
Le suicide mi-intentionnel est-il un suicide inconscient pour Freud ?
Actes destructeurs visant inconsciemment la vie de tierces personnes
"Il n'y a d'acte que d'homme", Lacan 05 février 1964
« La répétition apparaît d’abord sous une forme qui n’est pas claire, qui ne va pas de soi, comme une reproduction ou une présentification, en acte. Voilà pourquoi j’ai mis L’acte avec un grand point d’interrogation dans le bas du tableau, afin d’indiquer que cet acte restera, à notre horizon.
Il est assez curieux que ni Freud, ni aucun de ses épigones, n’ait jamais tenté de se remémorer ce qui est pourtant à la portée de tout le monde concernant l’acte – ajoutons humain, si vous voulez, puisque à notre connaissance, il n’y a d’acte que d’homme. Pourquoi un acte n’est-il pas un comportement ? Fixons les yeux, par exemple, sur cet acte qui est, lui, sans ambiguïté, l’acte de s’ouvrir le ventre que dans certaines conditions – ne dites pas hara-kiri, le nom est seppuku. Pourquoi font-ils ça ? Parce qu’ils croient que ça embête les autres, parce que, dans la structure, c’est un acte qui se fait en l’honneur de quelque chose. Attendons. Ne nous pressons pas avant de savoir, et repérons ceci, qu’un acte, un vrai acte, a toujours une part de structure, de concerner un réel qui n’y est pas pris d’évidence.
Wiederholen. Rien n’a plus fait énigme – spécialement à propos de cette bipartition, si structurante de toute la psychologie freudienne, du principe du plaisir et du principe de réalité – rien n’a plus fait énigme que ce Wiederholen, qui est tout près, aux dires des étymologistes les plus mesurés, du haler – comme on fait sur les chemins de halage – tout près du haler du sujet, lequel tire toujours son truc autour d’un certain chemin d’où il ne peut pas sortir ».
Lacan J., Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, coll. Points essais, 1973, séance du 05 février 1964, p. 60