Le suicide est une injustice contre la Cité

« De plus, lorsque, contrairement à la loi, on fait de plein gré du tort à quelqu’un qui ne nous en a pas fait, on commet une injustice; et on le fait de plein gré si l’on sait à la fois qui l’on veut léser et par quel moyen. Or si quelqu’un, sous l’emprise de la colère vient de lui-même à s’étrangler, il accomplit ce geste contrairement à la raison droite, que ne permet pas la loi, donc, il fait preuve d’injustice, mais envers qui ?

Envers la Cité, sans doute, mais pas envers lui-même, car s’il consent à subir un dommage, nul en revanche ne consent à subir l’injustice .

C’est précisément pourquoi la Cité punit le suicide et qu’une forme de déshonneur s’attache en outre à celui qui s’est détruit lui-même, comme au coupable d’une injustice envers sa Cité ».

Aristote, Ethique à Nicomaque, Le Monde de la philosophie, Paris, Flammarion, traduction R. Bodeus, 2008, 208

L’analyse est très subtile. Elle a pour principe le cas de quelqu’un animé de colère contre autrui, contre une apparente injustice d’autrui dont il se croit victime. Si, au lieu de céder à la colère, il avait correctement délibéré et suivi sa « raison droite », il aurait dû réagir en demandant justice. Mais aveuglé, il s’imagine qu’en se tuant lui-même, il va punir autrui; ce qu’il fait sur le coup.

Il commet alors une autre injustice envers la cité et que ne permet pas la loi. Alors que la première injustice n’est encore punie par la Cité.

Aristote explique que certes, l’intéressé consent à subir lui-même la mort, parce que son souhait est, en réalité, de faire du tort à un autre. C’est en raison de ce souhait qu’il fait preuve d’injustice, et la Cité punira ce dommage.

Actes destructeurs visant inconsciemment la vie de tierces personnes, Le suicide inconscient, S. Freud, 9

A la fin de son chapitre 8 de la Psychopathologie de la vie quotidienne 1, publié en 1923, Freud affirme donc l’existence d’une tendance destructrice inconsciente capable de détourner le refoulement et de s’exprimer dans les actes manqués par méprise sous la forme de l’indifférence du sujet. Ce qu’il distingue des actes symptomatiques  qui sont des formations de compromis. Freud égrène les exemples cliniques afin d’accréditer la thèse de l’existence de suicides inconscients. Après avoir exposé l’observation de Ferenczi, il évoque un cas de « sacrifice » rapporté par M.J. Starcke.

Ce cas est destiné à illustrer la valeur destructrice de certains actes manqués. Il ne s’agit pas d’un cas de suicide. La question est de savoir si l’on peut parler de symptôme….

Une dame dont le gendre devait partir pour l’Allemagne – il était appelé par son service militaire – se brûla les pieds. Sa fille était sur le point d’accoucher et le pays d’entrer en guerre. La veille du départ de son gendre, elle invite le couple à dîner. Pour préparer le repas, elle mit les « grandes pantoufles larges et ouvertes de son mari », ce qui ne lui arrivait jamais. Elle fit tomber une grande marmite de soupe brûlante sur ses pieds et se brûla. Tout le monde vit dans cet accident un effet de sa maladresse et de sa nervosité.

La maladresse était le « paravent » derrière lequel se dissimulait la rage de cette dame contre « la propre intégrité et la propre vie » (du couple), page 213.

Là, la conception des actes manqués dont l’effet est suicidaire pour le sujet, est élargie à des intentions inconscientes visant à menacer « la vie et la santé de tierces personnes », page 214. Après avoir montré la possibilité qu’un acte manqué suicidaire puisse viser le sujet, il n’est en effet pas absurde de supposer que ces intentions inconscientes puissent viser un tiers.

La suite au prochain numéro

1 – S. Freud, Psychopathologie de la vie quotidienne (trad. S. Jankélévitch), 1901, édition de 1923, petite bibliothèque Payot, 11, Paris, 1967

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Le suicide inconscient

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Le dédoublement de l’acte

L’étonnant sang-froid en présence de prétendus accidents

Un cas freudien d’acte destructeur manqué

Le suicide mi-intentionnel est-il un suicide inconscient pour Freud ?

Une formation de compromis

La multiplication des causes

Actes destructeurs visant inconsciemment la vie de tierces personnes

Actes destructeurs symptômes

La multiplication des causes, Le suicide inconscient, S. Freud, 8

A la fin de son chapitre 8 de la Psychopathologie de la vie quotidienne 1, publié en 1923, Freud affirme donc l’existence d’une tendance destructrice inconsciente capable de détourner le refoulement et de s’exprimer dans les actes manqués par méprise sous la forme de l’indifférence du sujet. Ce qu’il distingue des actes symptomatiques  qui sont des formations de compromis. Puis, Freud en vient à rendre compte de deux exemples cliniques issus de la pratique de Ferenczi. Freud les considère comme de véritables cas de « suicides inconscients ». Ils visent à démontrer la valeur de symptômes d’actes destructeurs « mi-intentionnels ».

Mr J. Ad. s’est logé une balle dans le crâne. Mais il n’éprouve aucun malaise. Il déclare qu’il s’agit d’un simple accident. Il jouait avec le revolver de son frère et, voyant qu’il n’était pas chargé, il avait appuyé avec la main gauche contre la tempe gauche (il n’est pas gaucher). Le coup était parti. C’était à l’époque où il devait se présenter devant un conseil de révision. Il avait été déclaré inapte. De retour chez lui, il joua avec le revolver sans avoir l’intention de se faire du mal. Il venait de quitter une jeune fille qu’il aimait. Amoureuse elle aussi, elle était partie pour l’Amérique gagner de l’argent. Les parents de J. Ad. s’opposèrent à ce qu’il la suive. « Le fait qu’il tenait le revolver, non de la main droite, mais de la main gauche, prouve qu’il ne faisait réellement que « jouer », c’est-à-dire n’avait « aucune intention consciente de se suicider », page 210.

Férenczi évoque un deuxième cas clinique qui rappelle la maxime : « celui qui creuse un fossé pour autrui finit par y tomber lui-même ».

Mme X., mariée, trois enfants, d’un bon milieu bourgeois, est victime d’un accident qui entraînera une mutilation grave, heureusement momentanée, de la face. Dans une rue en réfection, elle trébuche contre un tas de pierre et se trouve projetée la face contre le mur. Elle venait de prévenir il y a pas longtemps, son mari, qui ne tenait pas sur ses jambes, de faire attention en passant dans cette rue. Elle avait déjà eu l’occasion de constater qu’elle était toujours elle-même victime des accidents contre lesquels elle mettait en garde les autres. Immédiatement avant l’accident, elle avait vu dans une boutique, en face, un joli tableau. Elle s’était dit que ce tableau ornerait bien la chambre de ses enfants et s’était décidée à l’acheter. Traversant la rue, elle trébucha, « sans faire la moindre tentative pour parer le coup en étendant les bras ». Elle oublia son projet d’acheter le tableau. Elle n’avait pas fait davantage attention car il s’agissait, selon elle, d’un « châtiment ».

« Après cette histoire, j’avais des remords, je me considérais comme une femme méchante, criminelle et immorale ». Il s’agissait d’un avortement. Enceinte pour la quatrième fois, le ménage était dans une situation pécuniaire précaire, elle avait avorté. « Je me faisais souvent le reproche d’avoir laissé tuer mon enfant et j’étais angoissé à l’idée qu’un crime pareil ne pouvait rester impuni ». Cet accident était donc un châtiment que la malade s’était infligé en expiation du péché qu’elle avait commis et « peut-être en même temps, un moyen d’échapper à un châtiment inconnu et plus grave qu’elle redoutait depuis des mois », page 212.

Au moment où elle avait traversé la rue, toute cette histoire avait surgi dans ses souvenirs avec une intensité particulière. « Quel besoin as-tu d’un ornement pour la chambre des enfants, toi qui as laissé tuer un de tes enfants ? Tu es une meurtrière ! Et le grand châtiment est proche ! ». Elle prit cette idée comme prétexte. C’est ce qui explique qu’elle n’ait pas songé à étendre les bras pendant la chute et que l’accident lui-même ne l’ait pas impressionné outre mesure. On peut voir « une autre cause » de son accident dans la recherche d’un châtiment pour son désir inconscient de voir disparaître son mari, page 212. Ce désir s’est exprimé dans la recommandation qu’elle lui faisait de traverser la rue avec la plus grande prudence, désir inutile étant donné que son mari marchait déjà en prennant les plus grandes précautions.

Le deuxième cas de Ferenczi illustre parfaitement le suicide inconscient comme symptôme. L’acte est un compromis entre une intention et sa répression. D’une part, Mme X. à l’intention de se punir ainsi que de punir son mari pour avoir tué son enfant. D’autre part, cette intention inconsciente est réprimée. Le conflit s’exprime dans ses détails au cours de sa chute.

S’il y a conflit, il y a symptôme, une formation de compromis. Freud pourrait donc maintenant s’autoriser à parler de suicide en tant que symptôme.

Nous allons voir que Freud n’y parvient pas. Il n’arrive pas à nous exposer un cas indiscutable de « suicide symptôme » (et il ne fait d’ailleurs aucune référence à celui de La jeune homosexuelle). A la fin de son chapitre, il est donc obligé de prendre un biais. Il devra repartir des « actes manqués destructeurs à l’égard d’un tiers » pour démontrer l’existence « d’actes destructeurs symptômes » (et non pas de « suicides symptômes »).

La suite au prochain numéro

1 – S. Freud, Psychopathologie de la vie quotidienne (trad. S. Jankélévitch), 1901, édition de 1923, petite bibliothèque Payot, 11, Paris, 1967

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Actes destructeurs symptômes

Une formation de compromis, Le suicide inconscient, S. Freud, 7

Dans son chapitre 8 de la Psychopathologie de la vie quotidienne 1, publié en 1923, Freud affirme donc l’existence d’une tendance destructrice inconsciente capable de détourner le refoulement et de s’exprimer dans les actes manqués par méprise. Mais, cela peut-il aussi concerner les actes symptomatiques ?

Freud distingue en effet, les actes manqué par méprise et ceux qui peuvent prendre une valeur symptomatique. Avant d’aborder ce point, Freud doit examiner une question préalable. Car, pour parler symptôme, il est nécessaire de démontrer l’existence d’un compromis entre deux forces opposées. Nous reconnaissons les actes manqués par méprise d’après leur clinique, ils sont emprunt de l’indifférence du sujet. Par contre, les actes symptomatiques sont abordé d’après leur structure psychopathologique.

Freud revient alors longuement sur la façon dont cette tendance parvient à détourner le refoulement.

Freud a du mal à qualifier les actes de suicide inconscient. Il les considère comme « mi intentionnels », et non pas « inconscients », tout en précisant qu’il s’agit d’une expression paradoxale. « Il existe, à côté du suicide conscient et intentionnel, le suicide mi-intentionnel, provoqué par une intention inconsciente », page 207.

C’est assez logique. Il ne peut y avoir de suicide « inconscient » dans la mesure où l’acte mélange une tendance consciente et des intentions inconscientes. C’est un mélange, cet acte est « mi ceci, mi cela ». Un peu de chaque…..

Le point essentiel est que cette intention inconsciente « sait habilement utiliser une menace contre la vie et se présenter sous le masque d’un malheur accidentel ». La signification suicidaire de tels actes inconscients est donc masquée par le refoulement mais son effet est bel et bien destructeur. Freud suppose d’ailleurs que ce cas est certainement beaucoup plus fréquent « à l’état latent » que ceux chez qui cette tendance se réalise.

Dès lors, «les mutilations volontaires représentent un compromis entre cette tendance (suicidaire inconsciente) et les forces qui s’y opposent» et quand cela se termine par un suicide, Freud estime que le « penchant à cette acte » existait depuis longtemps de façon atténuée ou réprimée, page 207.

D’ailleurs, ceux qui ont l’intention consciente de se suicider choisissent aussi « leur moment, leurs moyens et leur occasion ». « L’intention inconsciente attend un prétexte qui se substituera à une partie des causes réelles et véritables et qui, détournant les forces de conservation de la personne, la débarrassera de la pression qu’exerce sur elle ces causes 2 ». D’où le schéma du symptôme et qui rend compte des forces en présences :

Intention (inconsciente)  prétexte / causes réelles (extérieures)  répression

Freud était parti des actes maladroits, dans la première partie de son livre sur les actes manqués. Insensiblement, il en arrive maintenant à la valeur symptomatique du suicide quand il réalise une intention inconsciente. Dans ce cas, le suicide, vu comme un « compromis », peut être qualifié de symptôme.

A l’époque où Freud écrit cet article, il élabore la pulsion de mort. Avant cela, il pensait encore que les « forces de conservation de la personne » étaient les plus fortes… Freud reconnaît que ses arguments sont « oiseux ». Il ne fait que chercher le mécanisme de l’inhibition motrice dont la levée permet indirectement la réalisation de l’intention de suicide, page 209.

Enfin, après avoir quitté l’exemple de la chute de cheval « accidentel » d’un officier, il aborde un exemple clinique plus probant issu de la pratique de Ferenczi. Freud le considère comme un véritable cas de « suicide inconscient ».

La suite au prochain numéro

1 – S. Freud, Psychopathologie de la vie quotidienne (trad. S. Jankélévitch), 1923, petite bibliothèque Payot, 11, Paris, 1967

2 – En note de bas de page : « en dernier analyse », le cas du suicide inconscient ressemble à celui du viol contre une femme. «Ne dit-on pas que les forces de la femme se trouvent paralysées ? » Et, Freud de citer le jugement de Sancho Pansa dans Don Quichotte : « si tu avais mis à défendre ton honneur la moitié de l’acharnement que tu mets à défendre ta bourse, tu serais encore une honnête femme….».

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Actes destructeurs visant inconsciemment la vie de tierces personnes

Actes destructeurs symptômes

« Le suicide mi-intentionnel », Le suicide inconscient, S. Freud, 6

Dans son chapitre 8 de la Psychopathologie de la vie quotidienne 1, Freud a donc opposé les actes par méprise (absurdes) aux actes symptomatiques (manqués quand à leur but). En précisant les actes par méprise, il en est venu à souligner leur « déterminisme symbolique » inconscient. Il n’est possible d’aborder ce déterminisme que négativement. L’absence de réaction aux effets de l’acte prime, c’est l’étrange indifférence du sujet aux conséquences de son acte.

Après un cas de mutilation volontaire pour des motifs inconscients et sexuels, Freud donne maintenant son propre exemple à l’examen des lecteurs. Il lui est arrivé de s’écraser le pouce par mégarde au moment où l’un de ses patients lui annonce son intention d’épouser sa fille… ce qui n’est pas une idée à prendre au sérieux, a-t-il besoin de préciser !

L’un des fils de Freud menaça de se suicider dans un accès de colère « pour faire comme ceux dont il avait lu le suicide dans les journaux ». Le soir, il montre à Freud une bosse sur sa poitrine, formée après sa chute contre un bouton de porte. Ou avait-il voulu en venir, lui demande Freud ? Le garçon, âgé de 11 ans, répond que c’était « la tentative de suicide dont je vous avais menacé ce matin ». Perspicace, le fils de Freud a bien reçu le message de son père. Les accidents soi-disant anodins peuvent prendre la signification d’une tentative de suicide.

Freud résume la situation :

« Il existe, à côté du suicide conscient et intentionnel, un suicide mi-intentionnel, provoqué par une intention inconsciente, qui sait habillement utiliser une menace contre la vie et se présenter sous le masque d’un malheur accidentel. Ce cas ne doit d’ailleurs pas être extrêmement rare, car les hommes chez lesquels la tendance à se détruire existe, avec une intensité plus ou moins grande, à l’état latent, sont beaucoup plus nombreux que ceux chez lesquels cette tendance se réalise. Les utilisations volontaires représentant, en général, un compromis entre cette tendance et les forces qui s’y opposent et dans les cas qui se terminent par le suicide, le penchant à cet acte a dû exister depuis longtemps avec une intensité atténuée ou à l’état de tendance consciente et réprimée », page 207.

Remarquons la nuance vis-à-vis de ce qui précède. La tendance destructrice est bien souvent consciente. Mais, elle existe aussi au niveau inconscient. C’est un petit glissement sans véritable étayage clinique. Un saut discret vers les motifs inconscients des actes manqués…

Page 205, nous aurions pu envisager que Freud pensait le contraire. La tendance serait totalement inconsciente et elle le demeurerait….. Maintenant, Freud n’exclut pas la possibilité que cette tendance soit clairement consciente sous une forme « réprimée ». Nous avions déjà discuté de cette forme dénégative au début de cette série d’article.

C’est un renversement épistémologique majeur au moment où Freud vient d’aborder la « pulsion de mort » dans d’autres textes (Au-delà du principe de plaisir en 1920). Il est très impressionnant de constater que le suicide soit ainsi l’un des points de bascule de ce renversement conceptuel majeur dans l’œuvre freudienne.

C’est une question qui a attiré l’attention de Lacan quand il commente le jeu de la bobine, le « for-da ». Quand nous y réfléchissons, nous tombons sur la notion de « l’abolition » de soi à côté de celle de réaction thérapeutique négative.

Freud évite pourtant très soigneusement d’utiliser le vocable de « pulsion de mort » dans ce chapitre sur les maladresses.

A ce point de l’article, Freud résume ce qu’il a pu avancer. La tendance inconsciente à se détruire est certainement bien plus répandue que l’on pense. Les maladresses dangereuses en sont l’un des prolongements. La réalisation effective et aboutie de l’acte suicidaire est plus rare que les maladresses dangereuses sans conséquence sur la vie du sujet, dans la mesure où elle n’est que le résultat de la lutte de forces contradictoires. Cette tendance destructrice peut s’exprimer consciemment sous une forme négative.

La suite au prochain numéro

1 – S. Freud, Psychopathologie de la vie quotidienne (trad. S. Jankélévitch), 1901, édition de 1923, petite bibliothèque Payot, 11, Paris, 1967

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Actes destructeurs symptômes

Un cas freudien d’acte destructeur manqué, Le suicide inconscient, S. Freud, 5

Dans son chapitre 8 de la Psychopathologie de la vie quotidienne 1, Freud aborde enfin « le seul » cas d’acte manqué destructeur provenant de son expérience personnelle, page 205.

Une jeune femme tombe de voiture et se casse la jambe. Elle étonne tout le monde par son « calme » et son « indifférence » à la douleur, alors qu’elle se voit contrainte à un alitement de plusieurs semaines. Cet accident a préludé à la névrose et une psychanalyse réussie.

Son calme et son indifférence ne laissaient-ils pas suspecter des intentions inconscientes à l’accident ?

Avant l’accident, la jeune femme se trouvait avec son mari jaloux chez l’une des ses sœurs avec ses autres sœurs et leurs maris. Un soir, elle offre de danser le cancan en « véritable virtuose ». Mécontent, son mari lui chuchote qu’elle se conduit comme « une fille ». Après une nuit agitée, la jeune femme prend les chevaux et s’oppose à ce que sa sœur prenne son bébé dans la voiture. Très angoissée, elle saute de la voiture au moment où ses chevaux refusent de se laisser maîtriser. Elle se casse une jambe. Cet accident parait « arrangé d’avance » et se produit « à propos », « comme s’il s’était agit d’une punition pour une faute commise » : pendant de longues semaines, elle ne pourra pas danser le cancan…

Il s’agit d’une « auto-mutilation » qui ne visait pas la destruction complète du sujet, son suicide, certes. Mais, son acte trouve le moyen de détourner le refoulement pour produire la punition. Malheureusement, Freud n’en dit pas beaucoup plus…

La réelle intention inconsciente n’est pas si claire dans cet exemple. Mais, il illustre bel et bien la séparation entre la tendance consciente à exécuter un acte destructeur et une intention inconsciente distincte qui permettrait d’expliquer le calme et le sang-froid qui succèdent à l’accident.

Cet exemple ajoute un petit plus. La cause déclenchante parait se rapporter à un enjeu sexuel en réponse à la récrimination de l’autre.

Il est désormais clair que la calme et l’indifférence aux conséquences de l’acte manqué est le critère essentiel pouvant mener à découvrir une intention inconsciente destructrice. Avec ce cas, Freud attire notre attention sur la possibilité d’une maladresse dont les effets sont destructeurs. Si l’acte parait plus bizarre, absurde, que maladroit, il n’est pas pour autant un acte symptomatique au sens freudien. Freud ne discutera la valeur symptomatique de certaines maladresses qu’à la fin de l’article.

La suite au prochain numéro

1 – S. Freud, Psychopathologie de la vie quotidienne (trad. S. Jankélévitch), 1901, édition de 1923, petite bibliothèque Payot, 11, Paris, 1967

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Le suicide mi-intentionnel est-il un suicide inconscient pour Freud ?

Une formation de compromis

La multiplication des causes

Actes destructeurs visant inconsciemment la vie de tierces personnes

Actes destructeurs symptômes

Freud entretient des soupçons sur la question génétique du suicide….

Le suicide est-il génétique ?

Pouvons-nous le recevoir en héritage de nos parents ?

Est-il possible de le transmettre à nos enfants ?

Freud s’est montré assez radical quand à cette hérédité des névroses. Il estime que la névrose peut en effet se « transmettre ». Mais, pas par les gènes !

Par identification !

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L'amour est une forme de suicide

Je viens de relire un petit passage du séminaire I de Jacques Lacan. Concis et instructif. Il s’agit d’une discussion entre Lacan et Hyppolite.
En résumé, la dialectique spéculaire (la relation à l’autre), introduit deux choses et d’un même coup : Continuer la lecture de « L'amour est une forme de suicide »

Rien ne protège du suicide

A la fin du témoignage de Agnès Favre sur le suicide de sa fille, Marie Choquet tire les conclusions de ce texte.
Elle parle de la position des parents qui ont perdu leur enfant. Tous plongés dans une souffrance incommensurable. Et M. Choquet se pose la question cruciale. Que peut faire un psy pour l’un de ces parents ?
Dans certaines conditions il est possible que ce psy « fasse intrusion » dans la vie quotidienne de ceux qui « survivent » (un terme mal choisi). Pour aider ces parents à comprendre. En sachant que la science ne peut « entièrement » expliquer l’acte d’un jeune qui a fait une tentative de suicide.
Il y a des facteurs qui nous induisent en erreur à propos du dépistage du risque suicidaire d’autrui.

1- l’origine sociale, les jeunes suicidants ne sont pas forcément pauvres, malades, déscolarisés, habitant dans un quartier « chaud ». Au contraire, le suicide est surtout élevé dans les pays riches comme la Suisse.

2- Certains de ces jeunes suicidants étonnent par leur beauté physique

3- Ils peuvent être créatifs et investis dans des activités de loisirs ou humanitaires

4- Ils peuvent être de bons élèves donnant satisfaction à leur enseignant

5- Il arrive qu’ils bénéficient de toute l’attention de leurs parents, voire qu’ils aient des parents qui les « surinvestissent ».

6- Il arrive enfin qu’ils soient eux-mêmes investis dans une relation amoureuse

Donc, si vous êtes des parents aisés, habitant dans un quartier tranquille, et que votre enfant est beau physiquement, qu’il s’investit dans ses loisirs, qu’il réussit à l’école, ce à quoi vous êtes attentif, et qu’il un(e) petit(e) copain(ine), alors : rien de tout cela ne le protège du suicide.
Ce que M. Choquet résume de la façon suivante : « Il a tout ce qu’il veut, mais justement, c’est cela qui le perturbe ».
Rien de ce que l’on connaît jusqu’à maintenant sur le suicide n’explique entièrement le passage à l’acte d’un proche. « Ainsi, on voit des jeunes, dans la même situation que des jeunes suicidants, mais qui ne passent pas à l’acte. On voit aussi des jeunes dans des situations bien pires, qui eux aussi ne manifestent ni idées suicidaire, ni passage à l’acte ».
Mais, selon M. Choquet, il est quand même possible de faire quelque chose. Aider les parents à s’exprimer et chercher à comprendre. Percevoir mieux et plus vite qu’un adolescent va mal et prendre cela au sérieux.

Un témoignage d'Agnès Favre

Dans le JT de France 2 ce midi, l’interview d’Agnès Favre qui vient d’éditer « L’envol de Sarah ». Avec beaucoup de tact pour évoquer le départ de sa fille. C’est un témoignage, pas un spectacle !

L’envol de Sarah, Agnès Favre, Max Milo, janvier 2007

«J’ai l’impression que je n’y arriverai jamais, et puis mon avenir me fait si peur. Je suis désolée, je n’arrive pas à dire les choses telles que je voudrais le dire, alors j’arrête.» Extrait d’une lettre de Sarah à ses parents. Sarah naît en 1980. C’est une enfant joyeuse, studieuse jusqu’au jour où ses parents déménagent dans une autre région. En quelques mois, elle perd le goût de la vie et va s’enfoncer dans la dépression. Est-elle prisonnière d’un secret inavouable ? Son frère, son père, comme sa mère, tentent de l’aider par tous les moyens et Sarah est suivie par les meilleurs spécialistes. Mais les tentatives de suicide se répètent, ponctuées de longues lettres déchirantes. Plus personne ne pourra contrecarrer le désir d’envol de Sarah. À seize ans, elle finit par sauter du pont d’Aquitaine. Étape par étape et pendant les dix ans qui ont suivi, sa mère a tenté de comprendre. Elle témoigne aujourd’hui : un livre fort et éclairant sur le mal-être des jeunes. Agnès Favre, née en 1957, a trouvé dans l’écriture un refuge à ses doutes. Elle esquisse un portrait élégant et touchant de sa fille. Elle s’adresse aux parents inquiets et interpelle une société où nombre de jeunes femmes semblent en crise identitaire « . Postface de Marie Choquet, directeur de recherche à l’Inserm (Maison de Solenn), source : FNA.
Extrait du livre
« Mon mari et moi travaillons pour un organisme qui propose des séjours de vacances de la belle saison jusqu’à l’automne. L’hiver, nous accueillons des retraités de tous âges. Nous essayons tant bien que mal de favoriser ce qu’on appelle le lien social, pour des personnes qui bien souvent sont des veufs, des personnes seules ou des malades, toutes sortes de gens que la vie a renvoyés à la solitude. Ironie du sort, on ne sait pas toujours empêcher dans son propre foyer ce contre quoi on lutte à l’extérieur. Enfant, j’étais moi-même assez seule. J’ai été élevée dans un monde rural au sein duquel l’oralité avait une place importante. J’ai gardé en mémoire des visages, des êtres en pleine activité de parole, des scènes de la vie courante avec des lieux et des saisons qui se croisent et s’entremêlent. J’étais un peu spectatrice, un peu mal à l’aise, un peu ailleurs. J’en ai entendu des confidences sur mon lieu de travail. Les âmes en peine sont passionnantes quand on prend la peine de les écouter. À chaque fois que j’apprends le décès d’une personne âgée, je me dis que c’est un livre qui se referme. Sarah et Baptiste aiment bien les côtoyer. Je leur fixe quand même des limites, car nous habitons un logement de fonction et je tiens à ce qu’ils distinguent notre lieu de travail et la maison. Tout le monde les apprécie, les personnes que je côtoie me répètent à l’envi combien ils sont mignons et polis. En revanche, ils voient peu leurs propres grands-parents. Nous ne pouvons les retrouver que trois ou quatre fois par an. C’est à chaque fois une joie d’aller les voir, ils nous attendent avec hâte. Ils ont neuf petits-enfants. On peut dire que mes enfants sont gâtés par leur pitre de grand-père qui aime être avec eux et les taquiner ».
Agnès Favre (Source : FNAC )