L'amour est une forme de suicide

Je viens de relire un petit passage du séminaire I de Jacques Lacan. Concis et instructif. Il s’agit d’une discussion entre Lacan et Hyppolite.
En résumé, la dialectique spéculaire (la relation à l’autre), introduit deux choses et d’un même coup : Continuer la lecture de « L'amour est une forme de suicide »

D’un discours qui ne serait pas du semblant

Si je résume le propos de Lacan, le passage à l’acte est l’irruption du réel aux limites du discours. C’est un « accident », du latin accidere, survenir, ce qui advient….

Lacan J., D’un discours qui ne serait pas du semblant (1971), le séminaire livre XVIII, Paris, Seuil, 2007, citation

Ce qui est sexuel « ne s’appelle sexualité que par ce qu’on appelle rapport sexuel », p. 30.

« Il est du destin des êtres parlants de se répartir entre hommes et femmes » (…) « ce qui définit l’homme, c’est son rapport à la femme » (…) « Il s’agit de faire-homme » (…) « l’un des corrélats essentiels est faire signe à la fille qu’on l’est. Pour tout dire, nous nous trouvons d’emblée placés dans la dimension du semblant  » (…) « Le comportement sexuel humain consiste dans un certain maintien de ce semblant animal. La seule chose qui l’en différencie (de l’animal), c’est que ce semblant soit véhiculé dans un discours, et que c’est à ce niveau de discours, à ce niveau de discours seulement, qu’il est porté vers, permettez-moi, quelque effet qui ne serait pas du semblant. Cela veut dire que, au lieu d’avoir l’exquise courtoisie animale, il arrive aux hommes de violer une femme, ou inversement. Aux limites du discours, en tant qu’il s’efforce de faire tenir le même semblant, il y a de temps en temps du réel. C’est ce qu’on appelle le passage à l’acte » (…) « observez que, dans la plupart des cas, le passage à l’acte est soigneusement évité. Ca n’arrive que par accident. C’est aussi une occasion d’éclairer ce qu’il en est de ce que je différencie depuis longtemps du passage à l’acte, à savoir l’acting out. Ca consiste à faire passer le semblant sur la scène, à le monter à la hauteur de la scène, à en faire exemple. Voilà ce qui dans cet ordre s’appelle l’acting out. On appelle encore ça la passion », p. 32-33.

L’angoisse

Jacques Lacan, version AFI

Leçon du 19 12 1962, extrait

« Deux choses, le passage à l’acte et l’acting-out. J’ai dit presque compléter parce que je n’ai pas le temps de vous dire pourquoi le passage à l’acte est à cette place et l’acting-out à une autre mais je vais tout de même vous faire avancer dans ce chemin en vous faisant remarquer, dans le rapport le plus étroit à notre propos ce matin, l’opposition de ce qui était déjà impliqué, et même exprimé dans ma première introduction de ces termes, et dont je vais maintenant souligner la position, à savoir, ce qu’il y a d’en trop dans l’em­barras, ce qu’il y a d’en moins dans ce que je vous ai, par un commentaire étymologique dont vous vous souvenez, je pense, tout au moins ceux qui étaient là, souligné du sens de l’émoi. L’émoi, vous ai-je dit, est essentiellement l’évocation du pouvoir qui fait défaut, esmayer, l’expérience de ce qui vous manque dans le besoin. C’est dans là référence à ces deux termes dont là liaison est essentielle en notre sujet, car cette liaison en souligne l’ambiguïté; si c’est en trop, ce à quoi nous avons affaire, alors, il ne nous manque pas, s’il vient à nous manquer, pourquoi dire qu’ailleurs il nous embarrasse, prenons garde ici de ne pas céder aux illusions les plus flatteuses ».

Leçon du 16 01 1963, extrait

« Ce n’est pas pour rien que le sujet mélancolique a une propension telle, et toujours accomplie avec une rapidité fulgurante, déconcertante, à se balancer par là fenêtre. La fenêtre, en tant qu’elle nous rappelle cette limite entre là scène et le monde, nous indique ce que signifie cet acte par où, en quelque sorte, le sujet fait retour à cette exclusion fondamentale où il se sent, au moment même où se conjugue dans l’absolu d’un sujet, dont nous seuls, analystes, pouvons avoir l’idée, cette conjonction du désir et de là loi. C’est proprement ce qui se passe au moment de là rencontre par le couple, de là chevalière de Lesbos et de son objet karéninien si je puis m’ex­primer ainsi, avec le père. Car il ne suffit pas de dire que le père a jeté un regard irrité pour comprendre comment a pu se produire le passage à l’ac­te. Il y a quelque chose qui tient là au fond même de là relation, à là struc­ture; car de quoi s’agit-il? Disons-le en termes brefs, je vous crois suffi­samment préparés pour que vous les entendiez : la fille, pour laquelle l’at­tachement au père, et là déception en raison de la naissance du jeune frère, si mon souvenir est bon, cette déception a été dans sa vie le point tournant, va donc quoi faire ? Faire de sa castration de femme ce que fait le chevalier à l’endroit de sa dame à qui précisément, il offre le sacrifice de ses préroga­tives viriles; pour en faire, elle, le support de ce qui est lié dans le rapport d’une inversion à ce sacrifice même à savoir, la mise à la place du manque, justement de ce qui manque au champ de l’Autre, à savoir sa garantie suprême, ceci que la loi est bel et bien le désir du père, qu’on en est sûr, qu’il y a une loi du père, un phallus absolu.

Sans doute, ressentiment et vengeance sont-ils décisifs dans le rapport de cette fille avec son père. Le ressentiment et là vengeance sont cela, cette loi, ce phallus suprême. Voici où je le place; c’est elle qui est ma dame, et puisque je ne peux pas être ta femme soumise et moi ton objet, je suis celui qui soutient, qui crée le rapport idéalisé à ce qui est de moi-même insuffi­sance, ce qui a été repoussé. N’oublions pas que là fille a cessé, a lâché là cul­ture de son narcissisme, ses soins, sa coquetterie, sa beauté, pour devenir chevalier servant de là dame.

C’est dans là mesure où tout ceci vient dans cette simple rencontre et, au niveau du regard du père, où cette scène vient aux regards du père, que se produit ce que nous pourrons appeler, nous référant au premier tableau que je vous ai donné des coordonnées de l’angoisse, le suprême embarras; que l’émotion – reportez-vous à ce tableau, vous en verrez les coordonnées exactes – l’émotion par là subite impossibilité de faire face à là scène que lui fait son amie, s’y ajoute. Les deux conditions essentielles de ce qui s’ap­pelle à proprement parler passage à l’acte, – et ici je m’adresse à quelqu’un qui m’a demandé de devancer un peu ce que je peux avoir à dire sur cette distinction de l’acting-out, nous aurons à y revenir-, les deux conditions du passage à l’acte comme tel sont réalisées. Ce qui vient à ce moment-là au sujet, c’est son identification absolue à ce petit a, à quoi elle se réduit. La confrontation de ce désir du père, sur lequel tout dans sa conduite est construit, avec cette loi qui se présentifie dans le regard du père, c’est ceci, par quoi elle se sent définitivement identifiée, et du même coup rejetée, déjetée hors de là scène.

Seul le laissez tomber, le se laisser tomber peut le réaliser. Le temps me manque aujourd’hui pour vous indiquer dans quelle direction va ceci; à savoir que là notation célèbre de Freud, dans le deuil, de l’identification à l’objet, comme étant ce sur quoi porte quelque chose qu’il exprime comme une vengeance de celui qui ressent le deuil, ce n’est pas suffisant. Nous por­tons le deuil et nous ressentons les effets de dévaluation du deuil, pour autant que l’objet dont nous portons le deuil était, à notre insu, celui qui s’était fait, que nous avons fait le support de notre castration.

La castration, elle nous retourne; et nous nous voyons pour ce que nous sommes, en tant que nous serions essentiellement retournés à cette position de là castration. Vous sentez bien que le temps me presse et qu’ici je ne peux que donner une indication; mais ce qui désigne bien à quel point c’est de cela qu’il s’agit, ce sont deux choses; c’est là façon dont Freud sent que, quelque avance spectaculaire que fasse là patiente dans son analyse, ça lui passe si je puis dire comme de l’eau sur les plumes d’un canard; et s’il négli­ge nommément cette place qui est celle du petit a dans le miroir de l’Autre par toutes les coordonnées possibles, bien sûr, sans avoir les éléments de ma topologie, mais on ne peut pas le dire plus clairement; car il dit ici : « là, ce devant quoi je m’arrête, je bute, dit Freud, c’est quelque chose comme ce qui se passe dans l’hypnose ». Or, qu’est-ce qui se passe dans l’hypnose ? C’est que le sujet dans le miroir de l’Autre est capable de lire tout ce qui est là, au niveau de ce petit vase pointillé, tout ce qui est spécularisable, on y va. Ce n’est pas pour rien que le miroir, le bouchon de carafe, voire le regard de l’hypnotiseur, sont les instruments de l’hypnose. La seule chose qu’on ne voit pas dans l’hypnose, c’est justement le bouchon de là carafe lui-même, ni le regard de l’hypnotiseur qui est là cause de l’hypnose. La cause de l’hypnose ne se livre pas dans les conséquences de l’hypnose. L’autre réfé­rence, le doute de l’obsessionnel. Et sur quoi porte-t-il le doute radical qui fait aussi que les analyses d’obsessionnels se poursuivent pendant des temps et des temps et très bellement ? C’est une véritable lune de miel, une cure d’obsessionnel, entre l’analyste et l’analysé; pour autant que ce centre où Freud nous désigne très bien quelle sorte de discours tient l’obsessionnel, à savoir : « Il est vraiment très bien, cet homme-là; il me raconte les plus belles choses du monde, l’ennui c’est que je n’y crois pas tout à fait ». Si elle est centrale, c’est parce qu’elle est là, en Χ.

(…)

Car avec Dora, j’y reviendrai, nous pouvons mieux articuler maintenant ce qui s’est passé; tout est loin, très loin, d’être maladresse et l’on peut dire que si Dora n’a pas été analysée jusqu’au bout, Freud a vu clair jusqu’au bout. Mais ici où la fonction du petit a de l’objet est en quelque sorte si pré­valente dans l’observation de l’homosexuelle qu’elle a été jusqu’à passer dans le réel, dans un passage à l’acte dont il comprend pourtant tellement bien la révélation symbolique, Freud donne sa langue au chat : « Je n’arri­verai à rien », se dit-il, et il la passe à un confrère féminin. C’est lui qui prend l’initiative de la laisser tomber.

Je vous laisserai sur ce terme pour le livrer à vos réflexions, car vous sen­tez bien que ce souci vise une référence essentielle dans là manipulation ana­lytique du transfert.

Leçon du 23 01 1963, extrait

« Et entrons maintenant dans l’acting-out. Dans le cas d’homosexualité féminine de Freud, si là tentative de suicide est un passage à l’acte, je dirai que toute l’aventure avec la dame de réputation douteuse, qui est portée à la fonction d’objet suprême, est un acting-out. Si là gifle de Dora est un pas­sage à l’acte, je dirai que tout le comportement paradoxal, que Freud découvre tout de suite avec tellement de perspicacité, de Dora dans le ména­ge des Κ. est un acting-out. L’acting-out, c’est quelque chose, dans la conduite du sujet, essentiellement qui se montre. L’accent démonstratif, l’orientation vers l’Autre de tout acting-out est quelque chose qui doit être relevé ».

Leçon XXV 3 juillet 1963, extrait

L’angoisse, Freud au terme de son œuvre l’a désignée comme signal. Il l’a désignée comme signal, distinct de l’effet de la situation traumatique, signal articulé à ce qu’il appelle danger; le mot danger pour lui est lié à la fonc­tion, à la notion, il faut bien le dire non élucidée de danger vital.

Ce que j’aurai pour vous cette année articulé d’original, c’est la précision sur ce qu’est ce danger. Ce danger, c’est, conformément à l’indication freu­dienne mais plus précisément articulé, ce qui est lié au caractère de cession du moment constitutif de l’objet a.

De quoi, dès lors, l’angoisse, pour nous, en ce point de notre élaboration doit-elle être considérée comme le signal ? Ici encore nous articulerons autrement que Freud ce moment, ce moment de fonction de l’angoisse est antérieur à cette cession de l’objet. Car l’expérience nous interdit de ne pas, comme là nécessité même de son articulation oblige Freud, situer quelque chose de plus primitif que l’articulation de la situation de danger, dès lors que nous la définissons comme nous venons de le faire, à un niveau, à un moment antérieur à cette cession de l’objet.

L’angoisse, ai-je annoncé pour vous d’abord dès le séminaire d’il y a deux ans, l’angoisse se manifeste sensiblement dès le premier abord comme se rapportant – et d’une façon complexe – au désir de l’Autre. Dès ce pre­mier abord, j’ai indiqué que la fonction angoissante du désir de l’Autre était liée à ceci que je ne sais pas quel objet a je suis pour ce désir.

J’accentuerai aujourd’hui que ceci ne s’articule pleinement, ne prend forme exemplaire qu’à ce que j’ai appelé, désigné ici, en signe au tableau, le quatrième niveau définissable comme caractéristique de la fonction de la constitution du sujet dans sa relation à l’Autre, pour autant que nous pou­vons l’articuler comme centrée autour de la fonction de l’angoisse.

Là seulement, la plénitude spécifique par quoi le désir humain est fonc­tion du désir de l’Autre, là seulement à ce niveau cette forme est remplie. L’angoisse, vous ai-je dit, y est liée à ceci que je ne sais pas quel objet a je suis pour le désir de l’Autre. Mais ceci, en fin de compte, n’est lié qu’au niveau où je puis en donner cette fable exemplaire où l’Autre serait un radi­calement Autre, serait cette mante religieuse d’un désir vorace, à quoi rien ne me lie de facteur commun. Bien au contraire, à l’Autre humain, quelque chose me lie qui est ma qualité d’être son semblable. Ce qui reste du je ne sais pas angoissant est foncièrement méconnaissance, méconnaissance à ce niveau spécial de ce qu’est, dans l’économie de mon désir d’homme, le a.

C’est pourquoi, paradoxalement, c’est au niveau dit quatrième, au niveau du désir scopique que, si la structure du désir est pour nous la plus pleine­ment développée dans son aliénation fondamentale, c’est là aussi que l’ob­jet a est le plus masqué et avec lui le sujet est, quant à l’angoisse, le plus sécurisé. C’est ce qui rend nécessaire que nous cherchions ailleurs qu’à ce niveau la trace du a quant au moment de sa constitution. L’Autre, en effet, si par essence il est toujours là dans sa pleine réalité, pour autant qu’elle prend présence subjective, peut se manifester par quelqu’une de ses arêtes, il est clair que le développement ne donne pas un accès égal à cette réalité de l’Autre.

Au premier niveau, cette réalité de l’Autre est présentifiée, comme il est bien net, dans l’impuissance originelle du nourrisson, par le besoin. Ce n’est qu’au second temps, qu’avec la demande de l’Autre, quelque chose à pro­prement parler se détache et nous permet d’articuler d’une façon complète la constitution du petit a par rapport à la fonction de lieu de la chaîne signi­fiante, fonction que j’entends de l’Autre.

Mais je ne peux pas quitter aujourd’hui ce premier niveau sans bien poin­ter que l’angoisse paraît avant toute articulation comme telle de la demande

de l’Autre. Mais singulièrement, je vous prie un instant de vous arrêter au paradoxe que conjoint le point départ de ce premier effet de cession, qui est celui de l’angoisse, avec ce qui sera au terme de quelque chose comme son point d’arrivée, cette manifestation de l’angoisse coïncidant avec l’émergen­ce même au monde de celui qui sera le sujet, c’est le cri, le cri dont j’ai situé dès longtemps la fonction comme rapport, non pas originel mais terminal à ce que nous devons considérer comme étant le cœur même de cet autre, en tant qu’il s’achève pour nous à un moment comme le prochain. Ce cri qui échappe au nourrisson, il ne peut rien en faire. S’il a, là, cédé quelque chose, rien ne l’y conjoint.

(…)

Je suis à jamais l’objet cessible, comme chacun sait de nos jours, l’objet d’échange. Et cet objet est le principe qui me fait désirer, qui me fait le désirant d’un manque qui n’est pas un manque du sujet, mais un défaut fait à la jouissance qui se situe au niveau de l’Autre.

C’est en cela que toute fonction du a ne se réfère qu’à cette béance cen­trale qui sépare au niveau sexuel le désir du lieu de la jouissance, qui nous condamne à cette nécessité qui veut que la jouissance ne soit pas de nature pour nous promise au désir, que le désir ne peut faire que d’aller à sa ren­contre, que pour la rencontrer, le désir ne doit pas seulement comprendre, mais franchir le fantasme même qui le soutient et le construit, ceci, que nous avons découvert comme cette butée qui s’appelle angoisse de castration. Mais pourquoi pas le désir de castration puisqu’au manque central qui dis­joint le désir de la jouissance, là aussi un désir est suspendu dont la menace pour chacun n’est faite que de sa reconnaissance dans le désir de l’Autre. A la limite, l’autre, quel qu’il soit dans le fantasme paraît être le châtreur, l’agent de la castration.

(…)

« Au niveau du passage à l’acte, un fantasme de suicide dont le carac­tère et l’authenticité sont à mettre en question essentiellement à l’intérieur de cette dialectique ».

(…)

« Le problème du deuil est celui du maintien de quoi ? Des liens par où le désir est suspendu, non pas à l’objet a au niveau quatrième, mais à i(a) par quoi tout amour, en tant que ce terme implique la dimension idéalisée que j’ai dite, est narcissique­ment structuré.

Et c’est ce qui fait la différence avec ce qui se passe dans la mélancolie et la manie. Si nous ne distinguons pas l’objet a du i(a), nous ne pouvons pas concevoir ce que Freud, dans la même note, rappelle et articule puissam­ment ainsi que dans l’article bien connu sur Deuil et mélancolie, sur la dif­férence radicale qu’il y a entre mélancolie et deuil.

Ai-je besoin de me référer à mes notes et de vous rappeler ce passage où, après s’être engagé dans la notion de retour, de la réversion de la libido prétendument objectale sur le Moi propre du sujet, il avoue, dans la mélancolie, ce processus, il est évident – c’est lui qui le dit – qu’il n’aboutit pas, l’objet surmonte sa direction, c’est l’objet qui triomphe. Et parce que c’est autre chose que ce dont il s’agit comme retour de la libido dans le deuil, c’est aussi pour cela que tout le processus, que toute la dialectique s’édifie autrement, à savoir, que cet objet a, Freud nous dit qu’il faut alors – et pourquoi dans ce cas, je le laisse ici de côté – il faut alors que le sujet s’ex­plique; mais que comme cet objet a est d’habitude masqué derrière le i(a) du narcissisme, le i(a) du narcissisme est là pour qu’au quatrième niveau le a soit masqué, méconnu dans son essence.

C’est là ce qui nécessite pour le mélancolique de passer, si je puis dire, au travers de sa propre image et l’at­taquant d’abord pour pouvoir atteindre dans cet objet a qui le transcende ce dont la commande lui échappe, ce dont la chute l’entraînera dans la pré­cipitation, le suicide, avec cet automatisme, ce mécanisme, ce caractère nécessaire et foncièrement aliéné avec lequel vous savez que se font les sui­cides de mélancoliques et pas dans n’importe quel cadre, et si ça se passe si souvent par la fenêtre, sinon à travers la fenêtre, ceci n’est pas un hasard, c’est le recours à une structure qui n’est autre que celle que j’accentue comme celle du fantasme.

Ce rapport à a par où se distingue tout ce qui est du cycle manie-mélan­colie de tout ce qui est du cycle Idéal, de la référence deuil ou désir, nous ne pouvons le saisir que dans l’accentuation de la différence de fonction du a par rapport au i(a); par rapport à quelque chose qui fait cette référence au a foncière, radicale, plus enracinante pour le sujet que n’importe quelle autre relation mais aussi comme foncièrement méconnue, aliénée dans le rapport narcissique ».

La relation d’objet

Jacques Lacan

Leçon du 9 janvier 1957, extrait

« Cette relation donc déclarée, maintenue par le sujet, est quelque chose à propos de quoi Freud nous apporte de très frappantes remarques. Il y en a auxquelles il donne valeur de sanction, soit explicative de ce qui s’est passé avant le traitement, par exemple la tentative de suicide, soit explicative de son échec à lui ».

(….)

« Ici on constate une méconnaissance d’un ordre analogue, mais beaucoup plus instructif parce que beaucoup plus profond. Puis il y a aussi des choses qu’il nous dit, et dont il ne tire qu’un parti incomplet, et qui ne sont certainement pas les moins intéressantes sur le sujet de ce dont il s’agit dans cette tentative de suicide, qui en quelque sorte se couronne dans un acte significatif, une crise dont on ne peut certainement pas dire que le sujet n’est pas intimement lié à la montée de la tension, jusqu’au moment où le conflit éclate et arrive à une catastrophe.

Il nous explique ceci de la manière suivante : c’est dans le registre d’une orientation en quelque sorte normale vers un désir d’avoir un enfant du père, qu’il faut concevoir la crise originaire qui a fait s’engager ce sujet dans quelque chose qui va strictement à l’opposé, puisqu’il nous est indiqué qu’il y a eu un véritable renversement de la position, et Freud essaye de l’articuler. Il s’agit d’un de ces cas où la déception par l’objet du désir se résume par un ren­versement complet de la position qui est identification à cet objet, et qui de ce fait, Freud l’articule exactement dans une note – équivaut à une régression au narcissisme. Quand je fais de la dialectique du narcissisme, essentiellement ce rapport moi-petit autre, je ne fais absolument rien d’autre que de mettre en évidence ce qui est implicite dans toutes les façons dont Freud s’exprime.

Quelle est donc cette déception, ce moment vers la quinzième année où le sujet engagé dans la voie d’une prise de possession de cet objet imaginaire, de cet enfant imaginaire – elle s’en occupe assez pour que ça fasse une date dans les antécédents du patient – opère ce renversement ? A ce moment-là sa mère a réellement un enfant du père, autrement dit la patiente fait l’acquisition d’un troisième frère. Voici donc le point clé, le caractère également en apparence exceptionnel de cette observation à la suite de quelque chose qui s’est passé.

Il s’agit maintenant de voir où cela s’interprétera le mieux, parce qu’enfin ce n’est pas banal non plus qu’il résulte de l’intervention d’un petit tard venu comme celui-là, un retournement profond de l’orientation sexuelle d’un sujet. C’est donc à ce moment-là que la fille change de position, et il s’agit de savoir ce qui arrive.

Freud nous le dit : c’est quelque chose qu’il faut considérer comme assu­rément réactionnel – le terme d’ailleurs n’est pas dans le texte, mais il est impliqué puisqu’il continue de supposer que le ressentiment à l’endroit du père continue de jouer. C’est là le rôle majeur, une cheville dans la situation, celle qui explique toute la façon dont l’aventure est menée. Elle est nettement agres­sive à l’endroit du père, et il ne s’agirait dans la tentative de suicide, à la suite de la déception produite par le fait que l’objet de son attachement homologue en quelque sorte la contrecarre, que de la contre-agressivité du père, d’un retour­nement de cette agression sur le sujet lui-même, combiné avec quelque chose, nous dit Freud, qui satisfait symboliquement ce dont il s’agit. A savoir que par une sorte de précipitation, de réduction au niveau des objets véritablement enjeu, une sorte d’effondrement de toute la situation sur des données primitives, quand la fille niederkommt, choit au bas de ce pont, elle fait un acte symbolique qui n’est autre chose que le nierderkommen d’un enfant dans l’accouchement ».

Leçon du 23 janvier 1957, extrait

« Par contre l’accouchement qui se trouve aussi de l’autre côté, à la fin de l’observation de l’homosexuelle avant qu’elle vienne entre les mains de Freud, se manifeste de la façon suivante : brusquement elle se jette d’un petit pont de chemin de fer au moment où intervient une fois de plus le père réel pour lui manifester son irritation et son courroux, et que la femme qui est avec elle sanctionne en lui disant qu’elle ne veut plus la voir. La jeune fille à ce moment là se trouve absolument dépourvue de ses derniers ressorts, car jusque là elle a été assez frustrée de ce qui devait lui être donné, à savoir le phallus paternel, mais elle avait trouvé le moyen par la voie de cette relation imaginaire, de maintenir le désir. A ce moment-là avec le rejet de la dame elle ne peut plus rien du tout soutenir, à savoir que l’objet est définitivement perdu à savoir que ce rien dans lequel elle s’est instituée pour démontrer à son père comment on peut aimer, n’a même plus de raison d’être, et à ce moment là elle se suicide.

Mais Freud nous le souligne, ceci a également un autre sens : ça a le sens d’une perte définitive de l’objet, à savoir que ce phallus qui lui est décidément refusé, tombe, niederkommt. Ca a là une valeur de privation définitive, et en même temps de mimique aussi d’une sorte d’accouchement symbolique. Et ce côté métonymique dont je vous parlais, vous le retrouverez là, car si cet acte de se précipiter d’un pont de chemin de fer au moment critique et terminal de ses relations avec la dame et le père, Freud peut l’interpréter comme une sorte de façon démonstrative de se faire elle-même cet enfant qu’elle n’a pas eu, et en même temps de se détruire dans un dernier acte significatif de l’objet, c’est uniquement fondé sur l’existence du mot niederkommt qui indique méto­nymiquement le terme dernier, le thème du suicide où s’exprime chez l’ho­mosexuelle dont il s’agit, ce qui est le seul et unique ressort de toute sa perversion – et ceci conformément à tout ce que Freud a maintes fois affirmé concernant la pathogenèse d’un certain type d’homosexualité féminine – à savoir un amour stable et particulièrement renforcé pour le père ».

RSI

Jacques Lacan, version AFI

Leçon du 18 02 175, extrait

« Pour l’obsessionnel pourtant, je le note tout de suite, il y a un symptô­me très particulier. Personne, bien sûr !, n’a la moindre appréhension de la mort (sans ça vous ne seriez pas là si tranquilles). Pour l’obsessionnel, la mort est un acte manqué. C’est pas si bête, car la mort n’est abordable que par un acte encore, pour qu’il soit réussi, faut-il que quelqu’un se suicide en sachant que c’est un acte, ce qui n’arrive que très rarement. Encore que ça ait été fort répandu à une certaine époque, à l’époque où la philosophie avait une certaine portée, une portée autre que de soutenir l’édifice social. Il y a quelques personnes qui sont arrivées à se grouper en école d’une façon qui avait des conséquences. Mais il est bien singulier et bien de natu­re aussi à nous faire suspecter l’authenticité de l’engagement dans les-dites écoles, qu’il y ait pas du tout besoin d’avoir atteint une sagesse quel­conque, qu’il suffise d’être un bon obsessionnel pour savoir de source cer­taine que la mort est un acte manqué ».

« L’agressivité en psychanalyse », Jacques Lacan

Plus que la « conservation de soi », plus encore que la crainte de la mort infligée par le « Maitre absolu », l’homme craint de léser son corps propre. Dans le même mouvement, il « constitue son monde par son propre suicide ». C’est-à-dire par son entrée dans la chaine signifiante (que Lacan explique plus en détail dans le séminaire : « Les formations de l’inconcscient »).

Lacan J., (rapport théorique présenté en mai 1948 à Bruxelles au XI congrès des psychanalystes de langue française), Ecrits, Paris, Seuil, 1966, p. 123-124, extraits

« Néanmoins nous avons là encore quelques vérités psychologiques à apporter : à savoir combien le prétendu « instinct de conservation » du moi fléchit volontiers dans le vertige de la domination de l’espace, et surtout combien la crainte de la mort, du « Maître absolu », supposé dans la conscience par toute une tradition philosophique depuis Hegel, est psychologiquement subordonnée à la crainte narcissique de la lésion du corps propre.

Nous ne croyons pas vain d’avoir souligné le rapport que soutient avec la dimension de l’espace une tension subjective, qui dans le malaise de la civilisation vient recouper celle de l’angoisse, si humainement abordée par Freud et qui se développe dans la dimension temporelle. Celle-ci aussi nous l’éclairerions volontiers des significations contemporaines de deux philosophies qui répondraient à celles que nous venons d’évoquer : celle de Bergson pour son insuffisance naturaliste et celle de Kierkegaard pour sa signification dialectique.

À la croisée seulement de ces deux tensions, devrait être envisagée cette assomption par l’homme de son déchirement originel, par quoi l’on peut dire qu’à chaque instant il constitue son monde par son suicide, et dont Freud eut l’audace de formuler l’expérience psychologique si paradoxale qu’en soit l’expression en termes biologiques, soit comme « instinct de mort ».

Chez l’homme « affranchi » de la société moderne, voici que ce déchirement révèle jusqu’au fond de l’être sa formidable lézarde. C’est la névrose d’auto-punition, avec les symptômes hystérico-hypochondriaques de ses inhibitions fonctionnelles, avec les formes psychasthéniques de sa déréalisation de l’autrui et du monde, avec ses séquences sociales d’échec et de crime. C’est cette victime émouvante, évadée d’ailleurs irresponsable en rupture du ban qui voue l’homme moderne à la plus formidable galère sociale, que nous recueillons quand elle vient à nous, c’est à cet être de néant que notre tâche quotidienne est d’ouvrir à nouveau la voie de son sens dans une fraternité discrète à la mesure de laquelle nous sommes toujours trop inégaux ».

Les formations de l’inconscient (1957-1958)

Dans ce texte, Lacan évoque quatre formes de suicide. Le suicide dans lequel le sujet devient un « signe éternel », « l’irrésistible pente au suicide des enfants non désirés », la « beauté horrifique » du suicide et sa « beauté contagieuse ». Ces trois formes de suicide sont clairement rapporté à la répétition, « la reproduction symptomatique », et à l’Au-delà du principe de plaisir.

Cet Au-delà du principe de plaisir est l’élément qui rend compte de la montée du plaisir, qui explique le « plaisir effectif ». C’est un refus du sujet, pleinement articulé, au moment où il s’affirme comme signifiant. Le sujet n’accepte pas d’être un élément de la chaîne signifiante. Ce faisant, il « s’abolit » et devient un signe éternel.

Continuer la lecture de « Les formations de l’inconscient (1957-1958) »

« Les complexes familiaux » de Jacques Lacan

Dans un texte précoce, « La famille : le complexe, facteur concret de la psychologie familiale. Les complexes familiaux en pathologie » (1938, paru dans Autres écrits), Jacques Lacan aborde la psychogenèse du suicide. Lacan distingue quatre formes de suicide : « les conduites forcées », le « suicide primordial non-violent » et les « réactions-suicide au masochisme primordial » et le suicide comme « comportement d’identification » dans la « névrose d’auto-punition ». La fonction imaginaire est prévalente, les mécanismes d’identification sont essentiels.

Extraits

(Texte en ligne complet : https://frama.link/EZgXaLrR)

« En opposant le complexe à l’instinct, nous ne dénions pas au complexe tout fondement biologique, et en le définissant par certains rapports idéaux, nous le relions pourtant à sa base matérielle. Cette base, c’est la fonction qu’il assure dans le groupe social ; et ce fondement biologique, on le voit dans la dépendance vitale de l’individu par rapport au groupe. Alors que l’instinct a un support organique et n’est rien d’autre que la régulation de celui-ci dans une fonction vitale, le complexe n’a qu’à l’occasion un rapport organique, quand il supplée à une insuffisance vitale par la régulation d’une fonction sociale. Tel est le cas du complexe du sevrage. Ce rapport organique explique que l’imago de la mère tienne aux profondeurs du psychisme et que sa sublimation soit particulièrement difficile, comme il est manifeste dans l’attachement de l’enfant «aux jupes de sa mère» et dans la durée parfois anachronique de ce lien. L’imago pourtant doit être sublimée pour que de nouveaux rapports s’introduisent avec le groupe social, pour que de nouveaux complexes les intègrent au psychisme. Dans la mesure où elle résiste à ces exigences nouvelles, qui sont celles du progrès de la personnalité, l’imago, salutaire à l’origine, devient facteur de mort. L’appétit de la mort. Que la tendance à la mort soit vécue par l’homme comme objet d’un appétit, c’est là une réalité que l’analyse fait apparaître à tous les niveaux du psychisme; cette réalité, il appartenait à l’inventeur de la psychanalyse d’en reconnaître le caractère irréductible, mais l’explication qu’il en a donnée par un instinct de mort, pour éblouissante qu’elle soit, n’en reste pas moins contradictoire dans les termes; tellement il est vrai que le génie même, chez Freud, cède au préjugé du biologiste qui exige que toute tendance se rapporte à un instinct. Or, la tendance à la mort, qui spécifie le psychisme de l’homme, s’explique de façon satisfaisante par la conception que nous développons ici, à savoir que le complexe, unité fonctionnelle de ce psychisme, ne répond pas à des fonctions vitales mais à l’insuffisance congénitale de ces fonctions.Cette tendance psychique à la mort, sous la forme originelle que lui donne le sevrage, se révèle dans des suicides très spéciaux qui se caractérisent comme «non violents», en même temps qu’y apparaît la forme orale du complexe: grève de la faim de l’anorexie mentale, empoisonnement lent de certaines toxicomanies par la bouche, régime de famine des névroses gastriques. L’analyse de ces cas montre que, dans son abandon à la mort, le sujet cherche à retrouver l’imago de la mère. Cette association mentale n’est pas seulement morbide. Elle est générique, comme il se voit dans la pratique de la sépulture, dont certains modes manifestent clairement le sens psychologique de retour au sein de la mère; comme le révèlent encore les connexions établies entre la mère et la mort, tant par les techniques magiques que par les conceptions des théologies antiques; comme on l’observe enfin dans toute expérience psychanalytique assez poussée ».

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« Si l’on veut suivre l’idée que nous avons indiquée plus haut, et désigner avec nous dans le malaise du sevrage humain la source du désir de la mort, on reconnaîtra dans le masochisme primaire le moment dialectique où le sujet assume par ses premiers actes de jeu la reproduction de ce malaise même et, par là, le sublime et le surmonte. C’est bien ainsi que sont apparus les jeux primitifs de l’enfant à l’œil connaisseur de Freud : cette joie de la première enfance de rejeter un objet du champ de son regard, puis, l’objet retrouvé, d’en renouveler inépuisablement l’exclusion, signifie bien que c’est le pathétique du sevrage que le sujet s’inflige à nouveau, tel qu’il l’a subi, mais dont il triomphe maintenant qu’il est actif dans sa reproduction. Le dédoublement ainsi ébauché dans le sujet, c’est l’identification au frère qui lui permet de s’achever: elle fournit l’image qui fixe l’un des pôles du masochisme primaire.

Ainsi la non-violence du suicide primordial engendre la violence du meurtre imaginaire du frère. Mais cette violence n’a pas de rapport avec la lutte pour la vie. L’objet que choisit l’agressivité dans les primitifs jeux de la mort est, en effet, hochet ou déchet, biologiquement indifférent ; le sujet l’abolit gratuitement, en quelque sorte pour le plaisir, il ne fait que consommer ainsi la perte de l’objet maternel. L’image du frère non sevré n’attire une agression spéciale que parce qu’elle répète dans le sujet l’imago de la situation maternelle et avec elle le désir de la mort. Ce phénomène est secondaire à l’identification ».

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« Ce narcissisme se traduit dans la forme de l’objet. Celle-ci peut se produire en progrès sur la crise révélatrice, comme l’objet œdipien se réduit en une structure de narcissisme secondaire – mais ici l’objet reste irréductible à aucune équivalence et le prix de sa possession, sa vertu de préjudice prévaudront sur toute possibilité de compensation ou de compromis: c’est le délire de revendication. Ou bien la forme de l’objet peut rester suspendue à l’acmé de la crise, comme si l’imago de l’idéal œdipien se fixait au moment de sa transfiguration – mais ici l’imago ne se subjective pas par identification au double, et l’idéal du moi se projette itérativement en objets d’exemple, certes, mais dont l’action est tout externe, plutôt reproches vivants dont la censure tend à la surveillance omniprésente: c’est le délire sensitif de relations. Enfin, l’objet peut retrouver en deçà de la crise la structure de narcissisme primaire où sa formation s’est arrêtée. On peut voir dans ce dernier cas le surmoi, qui n’a pas subi le refoulement, non seulement se traduire dans le sujet en intention répressive, mais encore y surgir comme objet appréhendé par le moi, réfléchi sous les traits décomposés de ses incidences formatrices, et, au gré des menaces réelles ou des intrusions imaginaires, représenté par l’adulte castrateur ou le frère pénétrateur : c’est le syndrome de la persécution interprétative, avec son objet à sens homosexuel latent. À un degré de plus, le moi archaïque manifeste sa désagrégation dans le sentiment d’être épié, deviné, dévoilé, sentiment fondamental de la psychose hallucinatoire, et le double où il s’identifiait s’oppose au sujet, soit comme écho de la pensée et des actes dans les formes auditives verbales de l’hallucination, dont les contenus auto-diffamateurs marquent l’affinité évolutive avec la répression morale, soit comme fantôme spéculaire du corps dans certaines formes d’hallucination visuelle, dont les réactions-suicides révèlent la cohérence archaïque avec le masochisme primordial. Enfin, c’est la structure foncièrement anthropomorphique et organo-morphique de l’objet qui vient au jour dans la participation mégalomaniaque, où le sujet, dans la paraphrénie, incorpore à son moi le monde, affirmant qu’il inclut le Tout, que son corps se compose des matières les plus précieuses, que sa vie et ses fonctions soutiennent l’ordre et l’existence de l’Univers ».

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« La névrose d’autopunition.–Une première atypie se définit ainsi en raison du conflit qu’implique le complexe d’Œdipe spécialement dans les rapports du fils au père. La fécondité de ce conflit tient à la sélection psychologique qu’il assure en faisant de l’opposition de chaque génération à la précédente la condition dialectique même de la tradition du type paternaliste. Mais à toute rupture de cette tension, à une génération donnée, soit en raison de quelque débilité individuelle, soit par quelque excès de la domination paternelle, l’individu dont le moi fléchit recevra en outre le faix d’un surmoi excessif. On s’est livré à des considérations divergentes sur la notion d’un surmoi familial; assurément elle répond à une intuition de la réalité. Pour nous, le renforcement pathogène du surmoi dans l’individu se fait en fonction double: et de la rigueur de la domination patriarcale, et de la forme tyrannique des interdictions qui resurgissent avec la structure matriarcale de toute stagnation dans les liens domestiques. Les idéaux religieux et leurs équivalents sociaux jouent ici facilement le rôle de véhicules de cette oppression psychologique, en tant qu’ils sont utilisés à des fins exclusivistes par le corps familial et réduits à signifier les exigences du nom ou de la race.

C’est dans ces conjonctures que se produisent les cas les plus frappants de ces névroses, qu’on appelle d’autopunition pour la prépondérance souvent univoque qu’y prend le mécanisme psychique de ce nom; ces névroses, qu’en raison de l’extension très générale de ce mécanisme, on différencierait mieux comme névroses de destinée, se manifestent par toute la gamme des conduites d’échec, d’inhibition, de déchéance, où les psychanalystes ont su reconnaître une intention inconsciente; l’expérience analytique suggère d’étendre toujours plus loin, et jusqu’à la détermination de maladies organiques, les effets de l’autopunition. Ils éclairent la reproduction de certains accidents vitaux plus ou moins graves au même âge où ils sont apparus chez un parent, certains virages de l’activité et du caractère, passé le cap d’échéances analogues, l’âge de la mort du père par exemple, et toutes sortes de comportements d’identification, y compris sans doute beaucoup de ces cas de suicide, qui posent un problème singulier d’hérédité psychologique ».

Le savoir du psychanalyste

Lacan J., version ALI

Le 4 novembre 1971

Du point de vue de la jouissance, le seul acte qui soit achevé, pas raté, c’est le suicide. C’est pourquoi le suicide mérite objection.

« La dimension dont l’être parlant se distingue de l’animal, c’est assurément qu’il y a en lui cette béance par où il se perdait, par où il lui est permis d’opérer sur le ou les corps, que ce soit le sien ou celui de ses semblables, ou celui des animaux qui l’entourent, pour en faire surgir, à leur ou à son bénéfice, ce qui s’appelle à proprement parler la jouissance ».

(…)

« Il est plus étrange de voir que Freud, à ce niveau, croit devoir recourir à quelque chose qu’il désigne de l’instinct de mort ».

(…)

« Si, à procéder, ainsi pourtant, je pense tout de même qu’il y a une réponse, il n’est pas forcé que pour lui, plus que pour aucun d’entre nous, il ait su tout ce qu’il disait. Mais, au lieu de raconter des bagatelles autour de l’instinct de mort primitif, venu de l’extérieur ou venu de l’intérieur ou se retournant de l’extérieur sur l’intérieur et engendrant sur le tard, enfin se rejetant sur l’agressivité et la bagarre, on aurait peut-être pu lire ceci, dans l’instinct de mort de Freud, qui porte peut-être à dire que le seul acte, somme toute – s’il y en a un – qui serait un acte achevé – entendez bien que je parle, comme l’année dernière je parlais, d’Un discours qui ne serait pas du semblant, dans un cas comme dans l’autre il n’y en a pas, ni de discours, ni d’acte tel – cela donc serait, s’il pouvait être, le suicide.

C’est ce que Freud nous dit. Il nous le dit pas comme ça, en cru, en clair, comme on peut le dire maintenant, maintenant que la doctrine a un tout petit peu frayé sa voie et qu’on sait qu’il n’y a d’acte que raté et que c’est même la seule condition d’un semblant de réussir. C’est bien en quoi le suicide mérite objection. C’est qu’on n’a pas besoin que ça reste une tentative pour que ce soit de toute façon raté, complètement raté du point de vue de la jouissance. Peut-être que les bouddhistes, avec leurs bidons d’essence – car ils sont à la page – on n’en sait rien, car ils ne reviennent pas porter témoignage ».