Que le suicide ait une signification politique, c’est ce que nous pourrions envisager en apprenant le décès de Mohamed Bouazizi par le feu (et celui d’au moins cinq de ses camarades en trois semaines). Et surtout depuis que, de fil en aiguille, après ce suicide, manifs après manifs, morts après morts, Ben ali a quitté le pouvoir.
Suicide par le feu….. le feu aux poudres….. La poudre explose……
Le rapprochement ne serait-il pas trop simple à établir ? Un suicide a-t-il vraiment des effets politiques ? Dans quelle conditions, s’il y en a ?
Nous voyons immédiatement le dilemme. Si seule une certaine forme d’action publique, par le sacrifice de soi, permet d’obtenir des effets réels, des effets concrets dans la réalité politique commune et pas seulement pour soi, alors, existe-t-il d’autres formes d’action politique qui aient une efficacité semblable ? Pour le dire clairement, faudrait-il nécessairement se suicider pour faire bouger les choses ?
Voici la position de Hannah Arendt sur la question : http://psychanalysesuicide.free.fr/?p=105. Pour l’auteur, l’acte a une valeur fondatrice dans le discours, il pose la première pierre d’une construction. Un acte « individuel » est inconcevable, le sujet émerge à partir de son statut de citoyen. L’acte d’un sujet est inscrit dans l’histoire de la cité et il répond au discours politique qui en a donc été la condition d’émergence. Selon ce point d’Arendt, Lucrèce est le prototype même du suicide politique. Continuer la lecture de « Le suicide a-t-il une signification politique ? »
L’angoisse
Jacques Lacan, version AFI
Leçon du 19 12 1962, extrait
« Deux choses, le passage à l’acte et l’acting-out. J’ai dit presque compléter parce que je n’ai pas le temps de vous dire pourquoi le passage à l’acte est à cette place et l’acting-out à une autre mais je vais tout de même vous faire avancer dans ce chemin en vous faisant remarquer, dans le rapport le plus étroit à notre propos ce matin, l’opposition de ce qui était déjà impliqué, et même exprimé dans ma première introduction de ces termes, et dont je vais maintenant souligner la position, à savoir, ce qu’il y a d’en trop dans l’embarras, ce qu’il y a d’en moins dans ce que je vous ai, par un commentaire étymologique dont vous vous souvenez, je pense, tout au moins ceux qui étaient là, souligné du sens de l’émoi. L’émoi, vous ai-je dit, est essentiellement l’évocation du pouvoir qui fait défaut, esmayer, l’expérience de ce qui vous manque dans le besoin. C’est dans là référence à ces deux termes dont là liaison est essentielle en notre sujet, car cette liaison en souligne l’ambiguïté; si c’est en trop, ce à quoi nous avons affaire, alors, il ne nous manque pas, s’il vient à nous manquer, pourquoi dire qu’ailleurs il nous embarrasse, prenons garde ici de ne pas céder aux illusions les plus flatteuses ».
Leçon du 16 01 1963, extrait
« Ce n’est pas pour rien que le sujet mélancolique a une propension telle, et toujours accomplie avec une rapidité fulgurante, déconcertante, à se balancer par là fenêtre. La fenêtre, en tant qu’elle nous rappelle cette limite entre là scène et le monde, nous indique ce que signifie cet acte par où, en quelque sorte, le sujet fait retour à cette exclusion fondamentale où il se sent, au moment même où se conjugue dans l’absolu d’un sujet, dont nous seuls, analystes, pouvons avoir l’idée, cette conjonction du désir et de là loi. C’est proprement ce qui se passe au moment de là rencontre par le couple, de là chevalière de Lesbos et de son objet karéninien si je puis m’exprimer ainsi, avec le père. Car il ne suffit pas de dire que le père a jeté un regard irrité pour comprendre comment a pu se produire le passage à l’acte. Il y a quelque chose qui tient là au fond même de là relation, à là structure; car de quoi s’agit-il? Disons-le en termes brefs, je vous crois suffisamment préparés pour que vous les entendiez : la fille, pour laquelle l’attachement au père, et là déception en raison de la naissance du jeune frère, si mon souvenir est bon, cette déception a été dans sa vie le point tournant, va donc quoi faire ? Faire de sa castration de femme ce que fait le chevalier à l’endroit de sa dame à qui précisément, il offre le sacrifice de ses prérogatives viriles; pour en faire, elle, le support de ce qui est lié dans le rapport d’une inversion à ce sacrifice même à savoir, la mise à la place du manque, justement de ce qui manque au champ de l’Autre, à savoir sa garantie suprême, ceci que la loi est bel et bien le désir du père, qu’on en est sûr, qu’il y a une loi du père, un phallus absolu.
Sans doute, ressentiment et vengeance sont-ils décisifs dans le rapport de cette fille avec son père. Le ressentiment et là vengeance sont cela, cette loi, ce phallus suprême. Voici où je le place; c’est elle qui est ma dame, et puisque je ne peux pas être ta femme soumise et moi ton objet, je suis celui qui soutient, qui crée le rapport idéalisé à ce qui est de moi-même insuffisance, ce qui a été repoussé. N’oublions pas que là fille a cessé, a lâché là culture de son narcissisme, ses soins, sa coquetterie, sa beauté, pour devenir chevalier servant de là dame.
C’est dans là mesure où tout ceci vient dans cette simple rencontre et, au niveau du regard du père, où cette scène vient aux regards du père, que se produit ce que nous pourrons appeler, nous référant au premier tableau que je vous ai donné des coordonnées de l’angoisse, le suprême embarras; que l’émotion – reportez-vous à ce tableau, vous en verrez les coordonnées exactes – l’émotion par là subite impossibilité de faire face à là scène que lui fait son amie, s’y ajoute. Les deux conditions essentielles de ce qui s’appelle à proprement parler passage à l’acte, – et ici je m’adresse à quelqu’un qui m’a demandé de devancer un peu ce que je peux avoir à dire sur cette distinction de l’acting-out, nous aurons à y revenir-, les deux conditions du passage à l’acte comme tel sont réalisées. Ce qui vient à ce moment-là au sujet, c’est son identification absolue à ce petit a, à quoi elle se réduit. La confrontation de ce désir du père, sur lequel tout dans sa conduite est construit, avec cette loi qui se présentifie dans le regard du père, c’est ceci, par quoi elle se sent définitivement identifiée, et du même coup rejetée, déjetée hors de là scène.
Seul le laissez tomber, le se laisser tomber peut le réaliser. Le temps me manque aujourd’hui pour vous indiquer dans quelle direction va ceci; à savoir que là notation célèbre de Freud, dans le deuil, de l’identification à l’objet, comme étant ce sur quoi porte quelque chose qu’il exprime comme une vengeance de celui qui ressent le deuil, ce n’est pas suffisant. Nous portons le deuil et nous ressentons les effets de dévaluation du deuil, pour autant que l’objet dont nous portons le deuil était, à notre insu, celui qui s’était fait, que nous avons fait le support de notre castration.
La castration, elle nous retourne; et nous nous voyons pour ce que nous sommes, en tant que nous serions essentiellement retournés à cette position de là castration. Vous sentez bien que le temps me presse et qu’ici je ne peux que donner une indication; mais ce qui désigne bien à quel point c’est de cela qu’il s’agit, ce sont deux choses; c’est là façon dont Freud sent que, quelque avance spectaculaire que fasse là patiente dans son analyse, ça lui passe si je puis dire comme de l’eau sur les plumes d’un canard; et s’il néglige nommément cette place qui est celle du petit a dans le miroir de l’Autre par toutes les coordonnées possibles, bien sûr, sans avoir les éléments de ma topologie, mais on ne peut pas le dire plus clairement; car il dit ici : « là, ce devant quoi je m’arrête, je bute, dit Freud, c’est quelque chose comme ce qui se passe dans l’hypnose ». Or, qu’est-ce qui se passe dans l’hypnose ? C’est que le sujet dans le miroir de l’Autre est capable de lire tout ce qui est là, au niveau de ce petit vase pointillé, tout ce qui est spécularisable, on y va. Ce n’est pas pour rien que le miroir, le bouchon de carafe, voire le regard de l’hypnotiseur, sont les instruments de l’hypnose. La seule chose qu’on ne voit pas dans l’hypnose, c’est justement le bouchon de là carafe lui-même, ni le regard de l’hypnotiseur qui est là cause de l’hypnose. La cause de l’hypnose ne se livre pas dans les conséquences de l’hypnose. L’autre référence, le doute de l’obsessionnel. Et sur quoi porte-t-il le doute radical qui fait aussi que les analyses d’obsessionnels se poursuivent pendant des temps et des temps et très bellement ? C’est une véritable lune de miel, une cure d’obsessionnel, entre l’analyste et l’analysé; pour autant que ce centre où Freud nous désigne très bien quelle sorte de discours tient l’obsessionnel, à savoir : « Il est vraiment très bien, cet homme-là; il me raconte les plus belles choses du monde, l’ennui c’est que je n’y crois pas tout à fait ». Si elle est centrale, c’est parce qu’elle est là, en Χ.
(…)
Car avec Dora, j’y reviendrai, nous pouvons mieux articuler maintenant ce qui s’est passé; tout est loin, très loin, d’être maladresse et l’on peut dire que si Dora n’a pas été analysée jusqu’au bout, Freud a vu clair jusqu’au bout. Mais ici où la fonction du petit a de l’objet est en quelque sorte si prévalente dans l’observation de l’homosexuelle qu’elle a été jusqu’à passer dans le réel, dans un passage à l’acte dont il comprend pourtant tellement bien la révélation symbolique, Freud donne sa langue au chat : « Je n’arriverai à rien », se dit-il, et il la passe à un confrère féminin. C’est lui qui prend l’initiative de la laisser tomber.
Je vous laisserai sur ce terme pour le livrer à vos réflexions, car vous sentez bien que ce souci vise une référence essentielle dans là manipulation analytique du transfert.
Leçon du 23 01 1963, extrait
« Et entrons maintenant dans l’acting-out. Dans le cas d’homosexualité féminine de Freud, si là tentative de suicide est un passage à l’acte, je dirai que toute l’aventure avec la dame de réputation douteuse, qui est portée à la fonction d’objet suprême, est un acting-out. Si là gifle de Dora est un passage à l’acte, je dirai que tout le comportement paradoxal, que Freud découvre tout de suite avec tellement de perspicacité, de Dora dans le ménage des Κ. est un acting-out. L’acting-out, c’est quelque chose, dans la conduite du sujet, essentiellement qui se montre. L’accent démonstratif, l’orientation vers l’Autre de tout acting-out est quelque chose qui doit être relevé ».
Leçon XXV 3 juillet 1963, extrait
L’angoisse, Freud au terme de son œuvre l’a désignée comme signal. Il l’a désignée comme signal, distinct de l’effet de la situation traumatique, signal articulé à ce qu’il appelle danger; le mot danger pour lui est lié à la fonction, à la notion, il faut bien le dire non élucidée de danger vital.
Ce que j’aurai pour vous cette année articulé d’original, c’est la précision sur ce qu’est ce danger. Ce danger, c’est, conformément à l’indication freudienne mais plus précisément articulé, ce qui est lié au caractère de cession du moment constitutif de l’objet a.
De quoi, dès lors, l’angoisse, pour nous, en ce point de notre élaboration doit-elle être considérée comme le signal ? Ici encore nous articulerons autrement que Freud ce moment, ce moment de fonction de l’angoisse est antérieur à cette cession de l’objet. Car l’expérience nous interdit de ne pas, comme là nécessité même de son articulation oblige Freud, situer quelque chose de plus primitif que l’articulation de la situation de danger, dès lors que nous la définissons comme nous venons de le faire, à un niveau, à un moment antérieur à cette cession de l’objet.
L’angoisse, ai-je annoncé pour vous d’abord dès le séminaire d’il y a deux ans, l’angoisse se manifeste sensiblement dès le premier abord comme se rapportant – et d’une façon complexe – au désir de l’Autre. Dès ce premier abord, j’ai indiqué que la fonction angoissante du désir de l’Autre était liée à ceci que je ne sais pas quel objet a je suis pour ce désir.
J’accentuerai aujourd’hui que ceci ne s’articule pleinement, ne prend forme exemplaire qu’à ce que j’ai appelé, désigné ici, en signe au tableau, le quatrième niveau définissable comme caractéristique de la fonction de la constitution du sujet dans sa relation à l’Autre, pour autant que nous pouvons l’articuler comme centrée autour de la fonction de l’angoisse.
Là seulement, la plénitude spécifique par quoi le désir humain est fonction du désir de l’Autre, là seulement à ce niveau cette forme est remplie. L’angoisse, vous ai-je dit, y est liée à ceci que je ne sais pas quel objet a je suis pour le désir de l’Autre. Mais ceci, en fin de compte, n’est lié qu’au niveau où je puis en donner cette fable exemplaire où l’Autre serait un radicalement Autre, serait cette mante religieuse d’un désir vorace, à quoi rien ne me lie de facteur commun. Bien au contraire, à l’Autre humain, quelque chose me lie qui est ma qualité d’être son semblable. Ce qui reste du je ne sais pas angoissant est foncièrement méconnaissance, méconnaissance à ce niveau spécial de ce qu’est, dans l’économie de mon désir d’homme, le a.
C’est pourquoi, paradoxalement, c’est au niveau dit quatrième, au niveau du désir scopique que, si la structure du désir est pour nous la plus pleinement développée dans son aliénation fondamentale, c’est là aussi que l’objet a est le plus masqué et avec lui le sujet est, quant à l’angoisse, le plus sécurisé. C’est ce qui rend nécessaire que nous cherchions ailleurs qu’à ce niveau la trace du a quant au moment de sa constitution. L’Autre, en effet, si par essence il est toujours là dans sa pleine réalité, pour autant qu’elle prend présence subjective, peut se manifester par quelqu’une de ses arêtes, il est clair que le développement ne donne pas un accès égal à cette réalité de l’Autre.
Au premier niveau, cette réalité de l’Autre est présentifiée, comme il est bien net, dans l’impuissance originelle du nourrisson, par le besoin. Ce n’est qu’au second temps, qu’avec la demande de l’Autre, quelque chose à proprement parler se détache et nous permet d’articuler d’une façon complète la constitution du petit a par rapport à la fonction de lieu de la chaîne signifiante, fonction que j’entends de l’Autre.
Mais je ne peux pas quitter aujourd’hui ce premier niveau sans bien pointer que l’angoisse paraît avant toute articulation comme telle de la demande
de l’Autre. Mais singulièrement, je vous prie un instant de vous arrêter au paradoxe que conjoint le point départ de ce premier effet de cession, qui est celui de l’angoisse, avec ce qui sera au terme de quelque chose comme son point d’arrivée, cette manifestation de l’angoisse coïncidant avec l’émergence même au monde de celui qui sera le sujet, c’est le cri, le cri dont j’ai situé dès longtemps la fonction comme rapport, non pas originel mais terminal à ce que nous devons considérer comme étant le cœur même de cet autre, en tant qu’il s’achève pour nous à un moment comme le prochain. Ce cri qui échappe au nourrisson, il ne peut rien en faire. S’il a, là, cédé quelque chose, rien ne l’y conjoint.
(…)
Je suis à jamais l’objet cessible, comme chacun sait de nos jours, l’objet d’échange. Et cet objet est le principe qui me fait désirer, qui me fait le désirant d’un manque qui n’est pas un manque du sujet, mais un défaut fait à la jouissance qui se situe au niveau de l’Autre.
C’est en cela que toute fonction du a ne se réfère qu’à cette béance centrale qui sépare au niveau sexuel le désir du lieu de la jouissance, qui nous condamne à cette nécessité qui veut que la jouissance ne soit pas de nature pour nous promise au désir, que le désir ne peut faire que d’aller à sa rencontre, que pour la rencontrer, le désir ne doit pas seulement comprendre, mais franchir le fantasme même qui le soutient et le construit, ceci, que nous avons découvert comme cette butée qui s’appelle angoisse de castration. Mais pourquoi pas le désir de castration puisqu’au manque central qui disjoint le désir de la jouissance, là aussi un désir est suspendu dont la menace pour chacun n’est faite que de sa reconnaissance dans le désir de l’Autre. A la limite, l’autre, quel qu’il soit dans le fantasme paraît être le châtreur, l’agent de la castration.
(…)
« Au niveau du passage à l’acte, un fantasme de suicide dont le caractère et l’authenticité sont à mettre en question essentiellement à l’intérieur de cette dialectique ».
(…)
« Le problème du deuil est celui du maintien de quoi ? Des liens par où le désir est suspendu, non pas à l’objet a au niveau quatrième, mais à i(a) par quoi tout amour, en tant que ce terme implique la dimension idéalisée que j’ai dite, est narcissiquement structuré.
Et c’est ce qui fait la différence avec ce qui se passe dans la mélancolie et la manie. Si nous ne distinguons pas l’objet a du i(a), nous ne pouvons pas concevoir ce que Freud, dans la même note, rappelle et articule puissamment ainsi que dans l’article bien connu sur Deuil et mélancolie, sur la différence radicale qu’il y a entre mélancolie et deuil.
Ai-je besoin de me référer à mes notes et de vous rappeler ce passage où, après s’être engagé dans la notion de retour, de la réversion de la libido prétendument objectale sur le Moi propre du sujet, il avoue, dans la mélancolie, ce processus, il est évident – c’est lui qui le dit – qu’il n’aboutit pas, l’objet surmonte sa direction, c’est l’objet qui triomphe. Et parce que c’est autre chose que ce dont il s’agit comme retour de la libido dans le deuil, c’est aussi pour cela que tout le processus, que toute la dialectique s’édifie autrement, à savoir, que cet objet a, Freud nous dit qu’il faut alors – et pourquoi dans ce cas, je le laisse ici de côté – il faut alors que le sujet s’explique; mais que comme cet objet a est d’habitude masqué derrière le i(a) du narcissisme, le i(a) du narcissisme est là pour qu’au quatrième niveau le a soit masqué, méconnu dans son essence.
C’est là ce qui nécessite pour le mélancolique de passer, si je puis dire, au travers de sa propre image et l’attaquant d’abord pour pouvoir atteindre dans cet objet a qui le transcende ce dont la commande lui échappe, ce dont la chute l’entraînera dans la précipitation, le suicide, avec cet automatisme, ce mécanisme, ce caractère nécessaire et foncièrement aliéné avec lequel vous savez que se font les suicides de mélancoliques et pas dans n’importe quel cadre, et si ça se passe si souvent par la fenêtre, sinon à travers la fenêtre, ceci n’est pas un hasard, c’est le recours à une structure qui n’est autre que celle que j’accentue comme celle du fantasme.
Ce rapport à a par où se distingue tout ce qui est du cycle manie-mélancolie de tout ce qui est du cycle Idéal, de la référence deuil ou désir, nous ne pouvons le saisir que dans l’accentuation de la différence de fonction du a par rapport au i(a); par rapport à quelque chose qui fait cette référence au a foncière, radicale, plus enracinante pour le sujet que n’importe quelle autre relation mais aussi comme foncièrement méconnue, aliénée dans le rapport narcissique ».
RSI
Jacques Lacan, version AFI
Leçon du 18 02 175, extrait
« Pour l’obsessionnel pourtant, je le note tout de suite, il y a un symptôme très particulier. Personne, bien sûr !, n’a la moindre appréhension de la mort (sans ça vous ne seriez pas là si tranquilles). Pour l’obsessionnel, la mort est un acte manqué. C’est pas si bête, car la mort n’est abordable que par un acte encore, pour qu’il soit réussi, faut-il que quelqu’un se suicide en sachant que c’est un acte, ce qui n’arrive que très rarement. Encore que ça ait été fort répandu à une certaine époque, à l’époque où la philosophie avait une certaine portée, une portée autre que de soutenir l’édifice social. Il y a quelques personnes qui sont arrivées à se grouper en école d’une façon qui avait des conséquences. Mais il est bien singulier et bien de nature aussi à nous faire suspecter l’authenticité de l’engagement dans les-dites écoles, qu’il y ait pas du tout besoin d’avoir atteint une sagesse quelconque, qu’il suffise d’être un bon obsessionnel pour savoir de source certaine que la mort est un acte manqué ».
Le savoir du psychanalyste
Lacan J., version ALI
Le 4 novembre 1971
Du point de vue de la jouissance, le seul acte qui soit achevé, pas raté, c’est le suicide. C’est pourquoi le suicide mérite objection.
« La dimension dont l’être parlant se distingue de l’animal, c’est assurément qu’il y a en lui cette béance par où il se perdait, par où il lui est permis d’opérer sur le ou les corps, que ce soit le sien ou celui de ses semblables, ou celui des animaux qui l’entourent, pour en faire surgir, à leur ou à son bénéfice, ce qui s’appelle à proprement parler la jouissance ».
(…)
« Il est plus étrange de voir que Freud, à ce niveau, croit devoir recourir à quelque chose qu’il désigne de l’instinct de mort ».
(…)
« Si, à procéder, ainsi pourtant, je pense tout de même qu’il y a une réponse, il n’est pas forcé que pour lui, plus que pour aucun d’entre nous, il ait su tout ce qu’il disait. Mais, au lieu de raconter des bagatelles autour de l’instinct de mort primitif, venu de l’extérieur ou venu de l’intérieur ou se retournant de l’extérieur sur l’intérieur et engendrant sur le tard, enfin se rejetant sur l’agressivité et la bagarre, on aurait peut-être pu lire ceci, dans l’instinct de mort de Freud, qui porte peut-être à dire que le seul acte, somme toute – s’il y en a un – qui serait un acte achevé – entendez bien que je parle, comme l’année dernière je parlais, d’Un discours qui ne serait pas du semblant, dans un cas comme dans l’autre il n’y en a pas, ni de discours, ni d’acte tel – cela donc serait, s’il pouvait être, le suicide.
C’est ce que Freud nous dit. Il nous le dit pas comme ça, en cru, en clair, comme on peut le dire maintenant, maintenant que la doctrine a un tout petit peu frayé sa voie et qu’on sait qu’il n’y a d’acte que raté et que c’est même la seule condition d’un semblant de réussir. C’est bien en quoi le suicide mérite objection. C’est qu’on n’a pas besoin que ça reste une tentative pour que ce soit de toute façon raté, complètement raté du point de vue de la jouissance. Peut-être que les bouddhistes, avec leurs bidons d’essence – car ils sont à la page – on n’en sait rien, car ils ne reviennent pas porter témoignage ».